En République dominicaine, Yvan Cech était surnommé «le prince». Jusqu'à son arrestation en mai 2006, il passait pour un homme d'affaires prolifique et faisait la belle vie. Il soignait son image en exploitant le réseau de contacts qu'il a développé depuis plus de 25 ans grâce à son hôtel-casino, ses propriétés et ses intérêts dans des petits commerces locaux. Sur le site DominicanToday.com, le gouvernement dominicain affirme lui avoir saisi 100 millions de dollars de biens dans cette île très prisée des touristes et de la pègre québécoise.

Originaire de Slovaquie, Cech, 65 ans, roule sa bosse depuis des décennies dans le domaine des bars et de l'hôtellerie. Avant de s'installer en République dominicaine, il a tenu des bars et des restaurants à Québec, à La Malbaie et même en Floride, où il était propriétaire, au début des années 80, du Starting Point, un des cabarets de bord de mer favoris de la faune québécoise qui passent ses hivers dans la partie de Hollywood appelée «le petit Québec». Il avait aussi des intérêts dans un hôtel.

 

À l'époque, le nom de Cech est ressorti aux côtés de noms de truands comme Marcel «Chinois» Salvail, William O'Bront, Vic Cotroni, Claude Dubois, Irving Goldstein, Gunter Immel et quelque 300 à 400 autres individus mis au ban par la Commission d'enquête sur le crime organisé (CECO) siégeant à Miami. La police américaine s'inquiétait que des gangsters canadiens aient envahi Hollywood et sa région, où ils faisaient dans le trafic de drogue, la fraude et le prêt usuraire. Ils y achetaient des motels, des bars, des restaurants et des condos. Des bandits recherchés au Canada allaient également se cacher là-bas.

Homme intelligent, Cech est vite passé en République dominicaine où il a continué de développer son réseau d'influence au sein de la pègre canadienne-française, mais aussi des autorités locales. C'est ainsi que, de la station balnéaire de Boca Chica, près de Santo Domingo, capitale du pays, il a fondé une nouvelle famille - il a deux enfants dominicains - et connu la prospérité à partir d'un petit hôtel-restaurant appelé Sonô Tropicale.

«Pendant des années, il passait la moitié de son temps en République dominicaine et l'autre moitié au Québec, où il avait aussi une femme et deux autres enfants», a relaté un ancien employé.

Un homme influent

Au plus fort de sa notoriété, au milieu des années 90, Cech recevait régulièrement à son restaurant des gens haut placés de l'armée dominicaine et de la police nationale venus faire la fête «sur le bras du patron», selon l'expression populaire. En retour, Cech profitait de certaines largesses quand, par exemple, il lui fallait stopper des enquêtes, faire venir des étrangers, entrer des marchandises ou passer les douanes avec des valises pleines d'argent. Les simples agents de police s'inclinaient à la seule vue de Cech ou d'un de ses hommes de main. Son beau-frère dominicain était l'un des rares à avoir sa confiance.

Charmeur, habile, Cech ne se gênait pas non plus pour aller à son casino de l'hôtel San Geronimo, où il festoyait et dépensait de fortes sommes au black-jack. «Il pouvait gagner de grosses sommes, mais aussi perdre 60 000 ou 80 000$ en une soirée», se souvient l'homme qui lui a déjà servi de chauffeur. Selon lui, Cech était pratiquement toujours armé et il se déplaçait dans une Mercury. Il avait aussi une grosse limousine blanche pour les grandes occasions. Il buvait du champagne acheté au Canada et fumait des cigares haut de gamme.

«Il se disait négociant», a souligné notre interlocuteur, précisant que Cech parle pas moins de neuf langues. Comparativement à bien d'autres Québécois rencontrés en République dominicaine, il s'exprimait couramment en espagnol.

C'est ainsi, sans jamais perdre de vue ses intérêts au Québec et en Slovaquie, où il a encore de la famille, que Cech a tissé sa toile et qu'il s'est associé à de grandes organisations criminelles. À la lumière de documents déposés devant les tribunaux, c'est l'ancien syndicaliste André «Dédé» Desjardins, très influent à Cabarete, sur l'autre versant de la République dominicaine, qui l'a mis en contact avec des trafiquants chevronnés comme John Beauchesne et le Hells Angels Mario Brouillette, du chapitre de Trois-Rivières. Cech a aussi fait affaire avec le motard Louis «Melou» Roy. Tous deux en disgrâce auprès des Hells Angels, Desjardins et Roy ont été assassinés à quelques mois d'intervalle en 2000.

Coup de filet

Cech est tombé de son piédestal quand les spécialistes antimotards de l'Escouade régionale mixte (ERM) de Montréal ont découvert dans un entrepôt de Québec les fameux lingots d'aluminium spécialement usinés au Venezuela qui lui ont permis de faire entrer de la cocaïne colombienne à coups de dizaines, voire de centaines de kilos. Il était à bord d'un avion d'Air France en partance pour Paris quand il a été arrêté par quatre policiers de la République dominicaine à l'aéroport de Santo Domingo, le 8 mai 2006. Il a été ramené sous escorte à Montréal trois jours plus tard. Craignant pour sa vie, il a décidé de se mettre à table. Il s'est ravisé trois mois plus tard, espérant s'en sortir en disant avoir été «kidnappé» en République dominicaine.