L'excès de curiosité de deux jurés a donné des sueurs froides à la Cour qui a appris, hier, que l'un d'eux avait monté sur le pare-chocs d'un fourgon cellulaire garé dans le garage du palais de justice de Montréal. Devant le juge Marc David, le juré principal a même expliqué, à mots couverts, avoir imité le geste d'un des tireurs qui ont ouvert le feu sur le gardien de prison Pierre Rondeau.

L'incident, qui aurait pu faire avorter le procès, s'est produit dans les premières heures de délibérations du jury, mardi. Isolés jusqu'au verdict, les 12 jurés allaient quitter le vaste édifice de la rue Notre-Dame en autobus, quand les deux hommes se sont éloignés du groupe pour exécuter leur petit manège. Seul le juré principal a réussi à atteindre le capot surélevé du fourgon cellulaire. «C'était pour montrer l'action, avec les photos qu'on avait vues», a-t-il expliqué devant le tribunal.

 

Éminemment condamnable sur le plan juridique, cet écart de conduite a échappé aux constables spéciaux qui suivent les jurés dans tous leurs déplacements. L'histoire a été révélée hier matin après que le juré principal se fut «un peu trop attardé» près d'un fourgon cellulaire. Troublée par la réaction inconvenante du juré, qui aurait dû serrer les rangs, l'agente Véronique Blain a décidé d'en informer le juge. D'autant plus, a-t-elle précisé durant son témoignage, que d'autres jurés semblaient au courant des agissements du juré principal.

La défense inquiète

Franchement inquiète que le jury ait pu être contaminé par «l'expérience» du fourgon, Me Carole Beaucage, de la défense, a demandé l'arrêt de ce procès fleuve qui dure depuis des mois. «Le jury est là pour juger de la preuve qui leur a été présentée, pas pour spéculer comme ce semble être le cas avec le fourgon cellulaire. Dans les circonstances, le jury va au-delà de la preuve», a-t-elle souligné. «S'ils ne sont pas certains que ça s'est passé comme le prétend Gagné (en parlant du délateur et principal témoin à charge, Stéphane Gagné), ils doivent acquitter l'accusé», d'ajouter l'avocate, en parlant de Paul Fontaine, membre des Hells Angels Nomads accusé du meurtre prémédité de l'agent Rondeau. Ce dernier était au volant d'un fourgon cellulaire quand il a été abattu à Rivière-des-Prairies, le 8 septembre 1997.

Après avoir interrogé séparément la gardienne et les deux jurés, le juge David a décrété qu'il s'agissait d'un remède démesuré, puisque «l'éthique du procès n'est pas en jeu». Il n'en a pas moins fait ramener les 12 jurés dans la salle de cour pour leur rappeler de s'en tenir strictement aux faits de la cause. «Être juré, ce n'est pas être enquêteur de la preuve, et vous ne pouvez faire de spéculations», a-t-il dit, en les pressant de tout oublier de ce qu'ils ont pu entendre à propos de l'épisode du fourgon cellulaire garé dans les obscurs soubassements du palais de justice de Montréal.

Après avoir délibéré jusqu'à 17h30, les jurés ont regagné leurs chambres d'hôtel. Ils reprendront le travail au palais de justice aujourd'hui.