Un procureur de la Couronne montré du doigt pour avoir menti à la cour. Un témoin principal déclaré «témoin hostile». Les parents d'une victime innocente d'un conflit entre deux gangs de rue sous le choc. Voici les dessous d'un procès fort en rebondissements qui vient de se terminer abruptement, hier, avec l'arrêt du processus judiciaire.

Il y a tellement eu de faits inusités et de rebondissements dans le procès des cinq accusés du meurtre de Raymond Ellis que la défense l'a baptisé le «cas Star Trek». Sa fin a été tout aussi spectaculaire. Les cinq jeunes hommes ont été libérés, hier, après que la juge Sophie Bourque eut ordonné l'arrêt du processus judiciaire.

 

Tous âgés dans la vingtaine, John Tshiamala, Ernso Théobrun, Evens Belleville, Cleveland Alexander Scott et McClee Charles sont sortis du centre judiciaire Gouin à Montréal avec une attitude triomphante, hier, quatre mois après l'ouverture de leur procès devant juge et jury.

Innocente victime

Raymond Ellis est une innocente victime d'un conflit entre deux gangs ennemis, les Bleus et les Rouges. Le 23 octobre 2005, le jeune homme de 25 ans se rend au bar afterhours Aria au centre-ville de Montréal avec deux amis. Ce soir-là, des membres et des relations du gang des Bleus sont dans le même bar pour commémorer l'assassinat d'un des leurs, tué par un Rouge un mois plus tôt. Tard dans la nuit, les Bleus ont faussement désigné Ellis comme le meurtrier de leur ami. Ils l'ont tabassé «à 50 contre 1» et l'ont poignardé à mort.

Un témoin de la scène, Wilkerno Dragon, est devenu le témoin principal de la Couronne. Libre au début de l'enquête policière, il a été arrêté pour une affaire de vol avant le début de ce procès. M. Dragon a changé de version à plusieurs reprises et s'est parjuré, de sorte qu'il a été déclaré «témoin hostile». M. Dragon aurait même été acheté par les accusés, a révélé la Couronne durant le procès, sans toutefois le mettre en preuve. C'est qu'une lettre saisie dans la cellule de Dragon dévoilait une entente de 15 000$ entre lui et l'un des accusés, McClee Charles, en échange d'un témoignage favorable.

Durant son incarcération, Dragon aurait reçu toutes sortes de menaces, entre autres, par le biais d'une radio communautaire syntonisée en prison, a raconté plus tôt lors du procès, l'enquêteur principal, Patrice Carrier. «Les gangs lui passaient des messages voilés sur une ligne ouverte du genre «Yo Will, on t'attend», a expliqué le policier.

Lors du procès, l'équipe de la Couronne menée par Me Louis Bouthillier a voulu prouver le parjure de Dragon en organisant une opération d'infiltration en prison. Cette idée a germé après qu'un prisonnier informateur eut fourni un renseignement. Avant de terminer le contre-interrogatoire de Dragon, la Couronne a donc demandé un ajournement, sans en dévoiler le véritable motif: gagner du temps pour envoyer deux policiers infiltrateurs en prison.

Lorsque la juge Bourque l'a appris, elle a vertement sermonné Me Bouthillier. «Jusqu'où allez-vous pouvoir ne pas dire la vérité à la cour dans un procès de meurtre pour obtenir une opération policière? Jusqu'où allez-vous avoir le droit de mentir à la cour?», a-t-elle demandé plus tôt dans le procès. Me Bouthillier avait alors répondu agir de bonne foi, convaincu que l'opération policière échouerait s'il la dévoilait à l'avance en cour. «Ce n'est pas la première fois qu'il y a des demi-vérités dites à la cour pour obtenir des remises. On en voit à tous les jours dans les palais de justice tant du côté de la Couronne que de la défense», avait-il alors indiqué.

Pour renforcer sa preuve, «la Poursuite a détourné à son profit, en violation des garanties les plus fondamentales de notre système de justice criminelle, le privilège de l'informateur. Elle a utilisé, contre cinq accusés, une preuve qu'elle sait trompeuse, dans le but de les faire condamner pour un meurtre au second degré», écrit la juge Bourque dans son jugement d'une vingtaine de pages. Or, le mystère reste entier sur le contenu de cette preuve trompeuse. La version complète du jugement a été mise sous scellés pour protéger l'identité de l'informateur.

Remède drastique

La Couronne a reconnu avoir porté atteinte à l'équité du procès. Elle a demandé un avortement du procès pour en recommencer un autre. La juge aura choisi un remède plus drastique, soit l'arrêt du processus judiciaire. «Que la Couronne mente à un juge et qu'elle l'admette, c'est une première. Tous les avocats du pays vont être intéressés par ce cas-là», a commenté l'un des avocats de la défense, heureux du jugement, Me Joseph Laleggia.

Lourde tâche

La fin abrupte de ce procès montre à quel point la poursuite de relations ou de membres de gangs de rue devant les tribunaux est une lourde tâche. «L'enquête policière est complexe et difficile. Complexe en raison des circonstances du meurtre et difficile en raison de l'implication des gangs de rue», a écrit la juge Bourque.

Dans le box des accusés, quatre des cinq prévenus se sont littéralement sautés dans les bras à l'annonce de la fin de leur procès. Ils ont poussé plusieurs cris de joie. «Ça fait du bien d'être libre après trois ans en dedans. C'est dur de faire confiance à la justice après ça», a lancé M. Tshiamala. Un seul d'entre eux a eu une réflexion pour la famille de la victime. «Mes pensées vont à la famille de la victime. Je crois que le système n'a pas été honnête avec nous et avec la famille», a dit l'accusé Cleveland Scott.

Possibilité d'appel

La Couronne n'exclut pas la possibilité d'interjeter appel. Elle a 30 jours pour le faire. Les cinq jeunes hommes ne peuvent pas être accusés à nouveau du même crime à moins que la Couronne ne gagne son appel.

Dans cette même affaire, un adolescent a eu un procès séparé devant jury au tribunal de la jeunesse. En mars 2008, le jury l'a déclaré coupable de meurtre non prémédité. Au moment de sa sentence, l'adolescent a été assujetti à une peine d'adulte, soit l'emprisonnement à perpétuité.