Fait inattendu, le mafioso Gerlando Caruana a reconnu devant la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) qu'il a appartenu en tant qu'«homme d'honneur» au puissant clan Caruana-Cuntrera, qui a ses bases en Sicile, au Venezuela et au Canada. Unis par le sang et dispersés aux quatre coins du globe, les membres de ces deux «familles» font dans le narcotrafic et le blanchiment d'argent depuis plus de 40 ans.

«Oui, c'est vrai, tout ça, mais aujourd'hui, c'est fini», a déclaré Caruana hier au Centre fédéral de formation (CFF) de Laval. Ces aveux sont d'autant plus étonnants que l'influent caïd sicilien avait tout rejeté en bloc il y a à peine six mois. «Je ne sais pas comment il en est arrivé à ça, mais c'est faux», avait-il dit au sujet des propos du célèbre juge antimafia feu Giovanni Falcone, selon lesquels lui et ses frères Alfonso et Pasquale étaient des «hommes d'honneur» de la Cosa Nostra.

 

Chef du clan

Plus volubile que jamais, Gerlando Caruana a aussi admis qu'il était, avec son frère Alfonso, à la tête du clan jusqu'à son arrestation, en juillet 1998, à Montréal. Son fils Giuseppe, 38 ans, qui gère une pizzeria à Longueuil, ainsi que son frère Pasquale, alors fraîchement sorti de prison en Italie, ont également été condamnés en marge de l'opération Omerta, lancée à Toronto. Les Caruana avaient été dénoncés par leur vieil ami Oreste Pagano, négociant de cocaïne installé au Mexique.

«Pagano trouvait la cocaïne, nous allions la chercher là où il nous disait et nous l'amenions ici pour la distribuer. On blanchissait aussi l'argent, c'était un business», a expliqué Gerlando Caruana. À l'en croire, le clan est démantelé. «Mon oncle, Pasquale Cuntrera, est incarcéré en Italie; mon frère Alfonso a été extradé et est lui aussi en prison en Italie, et il m'est interdit de voir mon autre frère, Pasquale», a-t-il relaté. Avant d'être extradés en Italie, les Cuntrera tenaient le fort au Venezuela.

«Mais ça continue encore aujourd'hui?» a demandé un commissaire. «Je pense que oui. Ça change de personne, mais pas le trafic», a répondu Gerlando Caruana. Malade depuis quelques années, le caïd de 65 ans assure ne plus rien savoir de ce qui se passe dans le milieu. Il digère encore très mal d'avoir été trahi par Pagano, «qui était un père pour nous», a-t-il dit sur le ton de la confidence. À sa deuxième sévère condamnation pour du trafic de drogue, Caruana a écopé de 18 ans de détention, en février 2000.

Séparé de sa famille

Durant ses sept premières années dans un pénitencier de l'Ontario, il n'a presque pas vu sa famille, étant séparé de sa femme. Seule sa conjointe et amie de longue date, Annie Stanicia-Zaino, lui rendait visite les week-ends. Il n'a pu assister aux mariages de ses trois enfants ni voir naître ses cinq petits-enfants. «Ça m'a fait très mal, et c'est ce qui m'a incité à changer mes valeurs. Tout ce qui compte, maintenant, c'est ma conjointe, mes trois enfants et mes cinq petits-enfants», a-t-il indiqué.

Depuis mai 2007, Caruana est en maison de transition, où il passe ses nuits. Il est libre le jour, si ce n'est qu'il est astreint deux fois par semaine à faire du bénévolat dans une banque alimentaire. Pour le reste, il vit presque reclus, avec sa conjointe et sa belle-mère, à Laval. Il ne leur faut pas plus de 2500 à 3000$ par mois pour vivre. Pour sa part, Caruana retire les rentes de retraite du régime public.

Et les profits?

«Mais où sont allés les énormes profits de vos trafics? On dit que votre famille est l'une des 500 plus fortunées au monde», a demandé un commissaire. «Ce n'est pas vrai», a rétorqué le gangster sexagénaire. Il a expliqué qu'une bonne partie de l'argent confié à Pagano avait disparu ou été versé dans des paradis fiscaux. «On a fait de l'argent, mais on en a aussi eu besoin pour faire une belle vie», a ajouté Caruana, qui fait partie d'une des familles mafieuses les plus riches de la planète.

Cette rare réponse nébuleuse a quand même pesé lourd dans la décision de la CNLC de le garder en maison de transition pour au moins six autres mois. Le chef mafieux souhaitait habiter à plein temps chez sa conjointe. «Il y a certainement eu des progrès sur le plan de la transparence, mais il vaut mieux rester prudent, car on ne sait rien de l'argent. Il doit bien y en avoir quelque part», a dit un commissaire.