Cinq ans après avoir été accusé et reconnu coupable d'agression sexuelle, Philippe Lacroix est maintenant un homme libre. La Cour suprême a cassé hier le jugement de la Cour d'appel du Québec qui avait maintenu la condamnation de l'homme alors que la preuve d'identification était bien mince.

«Les causes d'identification sont celles où il y a le plus d'erreurs judiciaires», a rappelé hier l'avocate de M. Lacroix, Annie Émond, très soulagée du dénouement de cinq ans de procédures judiciaires. Les policiers font généralement bien leur travail, a-t-elle précisé. Mais certains enquêteurs dans ce dossier ont agi de façon irrégulière.

Entre avril et septembre 2003, un cycliste commet 15 agressions sexuelles contre 14 femmes près des stations de métro Honoré-Beaugrand et Langelier. Il procède presque toujours de la même façon: à la nuit tombée, l'homme à vélo s'approche de ses victimes, leur empoigne fermement les seins ou les fesses, puis il s'enfuit.

Il agit si vite que la plupart de ses victimes, surprises, ne voient pas son visage. Les descriptions de l'agresseur sont donc assez vagues: un homme de race blanche, de taille moyenne, avec des cheveux châtains de longueur moyenne, qui porte un chandail kangourou de couleur foncée, ou un t-shirt, ou un coupe-vent avec une tuque noire.

Le 14 septembre 2003, une femme est encore une fois agressée. La victime communique avec les policiers en indiquant où l'agresseur a pris la fuite. Une heure plus tard, un policier du secteur intercepte un individu à vélo, Philippe Lacroix, qui correspond à la description donnée par la victime. Malgré les gyrophares de la voiture de patrouille, a affirmé le policier en cour, le cycliste accélère et ne s'arrête que lorsque la voiture lui barre la route. Le policier témoigne que M. Lacroix était en sueur et qu'il n'a opposé aucune résistance.

Six des victimes sont rencontrées par les policiers qui leur demandent d'identifier leur agresseur à l'aide d'une série de photographies parmi lesquelles se trouve celle de Philippe Lacroix. Mais au procès, la preuve d'identification par les victimes est rejetée, soit parce qu'elle n'est pas assez solide, soit parce que l'identification s'était déroulée de façon irrégulière en présence des policiers. En effet, à deux reprises, devant l'incapacité des victimes de désigner un suspect, les enquêteurs ont pointé la photographie de l'homme qu'ils ont arrêté.

Néanmoins, le juge de première instance estime que la preuve circonstancielle démontre que M. Lacroix est l'agresseur du 14 septembre. Comme toutes les autres agressions se sont déroulées de la même façon et ne peuvent avoir été commises que par un seul individu, M. Lacroix est également coupable des 14 autres agressions. La Cour d'appel confirme le verdict.

Raison au juge dissident

Dans son jugement rendu public hier, la Cour suprême se dit du même avis que le juge Jacques Chamberland, de la Cour d'appel, qui s'était dissocié du jugement majoritaire de ses deux autres collègues.

Le juge Chamberland a conclu que «le poids de la preuve circonstancielle est si faible» qu'il n'est pas possible d'affirmer hors de tout doute que Philippe Lacroix est coupable de l'agression du 14 septembre. Il s'est passé plus d'une heure entre l'agression et l'arrestation. Le fait que le cycliste était en sueur ne veut rien dire ni le fait qu'il ait accéléré, puisque la rue était en pente. La description physique et vestimentaire était aussi insuffisante. «Il y a probablement un certain nombre de jeunes hommes qui, dans une ville comme Montréal, correspondent à cette description», écrit le juge Chamberland.

S'il avait été clair que M. Lacroix est l'agresseur du 14 septembre, il aurait été justifié de conclure qu'il était l'auteur des 14 autres agressions, croient le juge Chamberland et la Cour suprême. Mais ce n'est pas le cas. La Cour suprême a donc choisi d'acquitter Philippe Lacroix sur chacun des 15 chefs d'accusation sur lesquels il avait été reconnu coupable.