À la demande de Johanes Winton, sa conjointe a fait disparaître deux paires de souliers, en juin 2004, avant que des policiers ne viennent les examiner pour tenter de les relier avec la scène d'un double meurtre. Ce faisant, Winton est tombé dans le piège que lui tendait la police: la supposée empreinte de pas sur la scène de crime était un leurre, et toutes ses conversations téléphoniques étaient sur écoute.

C'est ce qui ressort du témoignage que l'enquêteur du SPVM Denis Hogg a rendu hier, au procès de Winton. L'homme de 41 ans est accusé d'avoir tué avec préméditation Patrick Merlin, 25 ans, et sa compagne, Audrey-Ève Charron, 23 ans, en début de nuit, le 15 mars 2004. Selon la Couronne, le mobile était d'effacer la dette de drogue d'un ami et complice, Dan Martel, et de se séparer les profits. Les victimes ont été abattues par balles dans une voiture garée dans une ruelle de Verdun.

Hier, M. Hogg a raconté que la découverte du téléphone cellulaire de Merlin, sur la banquette avant où il gisait, a aiguillé le début de l'enquête. En analysant les appels reçus et faits par ce téléphone le soir du crime, la police a pu remonter jusqu'à Johanes Winton, qui demeurait à quelques pas de la scène du crime.

C'est ainsi que, le 3 juin, Winton est convoqué dans un bureau de la police de Montréal au sujet du double meurtre. D'emblée, l'enquêteur Hogg déclare à Winton qu'il est suspect. Winton affirme qu'il ne connaît pas les victimes et qu'il n'a jamais appelé Merlin.

L'enquêteur Hogg décide alors de faire croire à Winton qu'une belle empreinte de pas a été repérée dans la neige, à côté de la voiture des victimes. On peut détecter parmi 300 chaussures identiques celle qui a laissé une empreinte, simplement parce qu'un petit caillou peut être pris dans la rainure de la semelle, lui explique longuement le policier. «Ça ne te dérangerait pas qu'on se rende chez toi pour examiner tes chaussures?» enchaîne alors M. Hogg. Winton n'y voit pas d'inconvénient. Ils peuvent même y aller tout de suite, suggère-t-il. Mais l'enquêteur Hogg prétexte un empêchement.

Ce que veut la police, en fait, c'est que Winton se trahisse au téléphone. Un rendez-vous est pris le lendemain pour l'examen des souliers, mais Winton prévient qu'il sera absent, car il travaille dans la construction.

Plus tard le même jour, Winton appelle sa conjointe, Joy Davis, et lui demande de faire disparaître deux paires de souliers qui se trouvent au sous-sol. «Tu les mettras dans la van. La police ne sait rien de la van», dit-il, ignorant qu'il est sur écoute. Il recommande aussi à Mme Davis de passer l'aspirateur à l'endroit où se trouvaient ses souliers, puis d'empiler des choses pour qu'il n'y ait pas de vide.

Le lendemain, avant que la police vienne chez lui, Winton, qui travaille, appelle sa conjointe: «Sors les souliers (ceux qui n'ont pas été jetés) de ma chambre et aligne-les sur la table de cuisine. Ils n'ont pas besoin d'entrer dans la chambre et de voir ce qui s'y trouve», dit-il. «Le téléviseur, la bicyclette», lui répond Mme Davis. Précisons que, selon la thèse de la Couronne, Winton a reçu 36 000$ après le double meurtre, somme qui lui aurait servi à acheter toutes sortes de marchandises, notamment un téléviseur, un ordinateur...

De grosses lunettes et de l'eau

L'enquêteur Hogg a expliqué hier que, le 4 juin 2004, il s'est présenté avec un technicien en scènes de crime et un autre enquêteur au domicile de Winton, à Verdun. À leur arrivée, tous les souliers étaient alignés sur la table de cuisine. Les policiers ont fait un show, de l'aveu même de M. Hogg. Affublé de grosses lunettes, le technicien a examiné minutieusement les chaussures. Puis, il les a vaporisées avec un produit censé faire apparaître ce qui est invisible à l'oeil nu. «Dans la bouteille, il n'y avait que de l'eau», a précisé M. Hogg. Enfin, le technicien a fait des prélèvements avec un écouvillon.

Mme Davis était aux abois. Elle tremblait et était extrêmement nerveuse. Après le départ des policiers, elle a vite appelé Winton pour lui raconter tout ce qu'ils avaient fait. Elle s'inquiétait aussi du fait que l'enquêteur Hogg lui avait demandé si elle consentirait à faire une déclaration vidéo sur les allées et venues de son conjoint, le soir du double meurtre. Plusieurs conversations montrant l'inquiétude du couple ont été mises en preuve.

Le procès se poursuivra lundi, avec la fin du témoignage de l'enquêteur Hogg. Ce procès, présidé par le juge Jerry Zigman, est sur les rails depuis la fin septembre. Me Éliane Perreault agit pour la Couronne, tandis que Me Alan Gutman défend l'accusé.