«Pour fuir ou survivre à cette terreur que je subissais constamment, très jeune, je me suis renfermée sur moi-même et j'ai inventé mon propre monde où je vivais dans la peau d'un animal... Je m'automutilais pour passer ma colère... Il n'y a pas une journée où je n'ai pensé à me jeter en bas du troisième étage de l'école, ou à sauter devant un autobus en marche.»

Voilà comment l'une des trois filles d'un père agresseur et maladivement autoritaire se sentait, pendant son enfance et son adolescence. Le juge Michel Bellehumeur a tenu à faire lecture de cette déclaration, hier, avant d'imposer la peine au père en question. Le Montréalais, qui a été déclaré coupable d'agression sexuelle et de voies de fait sur ses trois filles, ainsi que de voies de fait sur son épouse, a finalement écopé de six ans de pénitencier. Une peine que le magistrat a voulue dissuasive. «Les enfants doivent trouver protection et réconfort auprès de leurs parents. Ils n'ont pas à être des objets sexuels ou un moyen d'extérioriser frustrations, mauvais plaisir et autorité maladive», a-t-il précisé.

 

Les faits se sont produits à de nombreuses reprises entre 1990 et 1999, année où l'épouse a décidé de se séparer. L'homme, un ancien vendeur d'assurances dont nous devons taire l'identité pour protéger celle de ses filles, avait instauré un véritable climat de terreur à la maison.

Il prenait également plaisir à humilier ses enfants. Pour un tout ou un rien, il les mettait à genoux avec l'ordre de ne pas bouger. Il les frappait à coup de pied dans le dos, si la fatigue les faisait asseoir sur leurs talons. Il leur tirait les cheveux, les oreilles, les frappait à la tête, leur donnait des coups de fourchette sur les mains quand elles parlaient à table. Obnubilé par le «gaspillage», il allait récupérer de la nourriture qu'elles avaient jetée dans la poubelle, et réglait le chauffage au minimum pendant l'hiver. Pour économiser l'eau chaude, il allait les savonner et les rincer pendant leurs douches. Il en profitait pour leur faire des attouchements.

Ce manège a duré jusqu'à ce que ses filles aient environ 15 ans. L'une d'elles, qui affirme avoir été violée par son père de l'âge de 8 à 12 ans, a fait une tentative de suicide. Quand la mère s'interposait, elle était frappée elle aussi. Les mauvais traitements et l'ambiance de terreur ont eu un impact dévastateur sur les filles. Pensées suicidaires, dépression, automutilation, troubles alimentaires et peur des hommes ont été leur lot. Encore aujourd'hui, elles doivent travailler fort pour combattre ces vieux démons.

Pas de vengeance

Hier, après le prononcé de la peine, le père a pris le chemin de la prison, sous les yeux de son ex-épouse et de ses trois filles. Ces dernières se sentaient soulagées que ce soit fini, mais ont souligné qu'il n'y avait là rien de réjouissant. «On ne cherche pas la vengeance. L'important c'est qu'il reconnaisse ce qu'il a fait», a dit l'un d'elles.

«Ce que je souhaite à mon père, c'est qu'il en sorte grandi, qu'il y ait du positif», a dit une autre. Enfin, la troisième a fait valoir qu'à l'époque, elles ne savaient pas ce qu'était une vraie famille. «On était isolées, on ne pouvait pas avoir d'amies. Il y a un manque de sensibilisation. Il faudrait apprendre aux enfants ce qu'est une vie familiale saine», a-t-elle conclu.

Même si le processus judiciaire est ardu et remue des souvenirs pénibles, toutes, incluant la mère, sont fières d'être passées au travers. «La judiciarisation fait partie du processus de guérison, a lancé l'une des trois jeunes femmes», qui ont aujourd'hui entre 20 et 25 ans.