«Si ton client ne plaide pas coupable, le train va lui passer dessus.» Cet avertissement, lancé par une procureure de la Couronne, ainsi que d'autres manquements de la Couronne et de la police, ont fait capoter le procès de deux présumés trafiquants de drogue, vendredi, au palais de justice de Laval.

Arrêtés et détenus depuis plus de deux ans dans le cadre du projet Cléopâtre, Sergio Piccirelli, 48 ans, et Antal Babos, 42 ans, se retrouvent libres et débarrassés des graves accusations qui pesaient contre eux. Cela parce la Couronne et la police ont utilisé des techniques abusives, a conclu le juge de la Cour du Québec Gilles Garneau. Dans un jugement lapidaire, le magistrat a même fait valoir que certains agissements de la procureure de la Couronne, Valérie Tremblay, s'apparentaient à de la «dictature». Il a estimé que le remède était l'arrêt du procès, comme le demandaient les avocats des accusés.

 

«On a présenté une requête et le juge a suivi notre raisonnement», se réjouit Me Patrick Davis, avocat de Piccirelli. Son client a retrouvé sa liberté le soir même, alors que Babos est resté détenu en raison d'une autre affaire liée au blanchiment d'argent.

Coup de filet

Il y a toutefois de fortes chances pour que lui aussi retrouve sa liberté cette semaine. Les deux accusés faisaient face à une kyrielle d'accusations allant du gangstérisme au complot pour importation d'éphédrine, possession de méthamphétamine et possession de plusieurs armes. Ils étaient détenus depuis leur arrestation, le 22 juin 2006.

Ce jour-là, la police avait frappé fort dans le territoire de Kanesatake, dans le but de démanteler un réseau de trafiquants de drogue impliquant Sharon Simon. Pendant un certain temps, la femme de 50 ans, surnommée la Reine de Kanesatake, a eu une liaison avec Piccirelli. Quoi qu'il en soit, dans la foulée de cette grande opération policière, environ 80 personnes avaient été accusées. La plupart ont réglé leur dossier depuis. Ce n'est toutefois pas le cas de Piccirelli et Babos.

Dans la requête en arrêt de procédure, Me Davis reprochait à la procureure de la Couronne Valérie Tremblay d'avoir exercé des pressions pour que Piccirelli plaide coupable. Lors d'une séance en cour, en l'absence du juge, la procureure aurait lancé ce message à Me Patrice Dulliot, qui représentait Piccirelli à l'époque: «Si ton client ne plaide pas coupable, le train va lui passer dessus.» Me Dulliot est d'ailleurs venu témoigner devant le juge Garneau à ce sujet.

Par la suite, Me Tremblay aurait poursuivi sur cette lancée avec les nouveaux avocats de Piccirelli, dont Me Davis. Dans le cadre de l'enquête préliminaire, elle aurait menacé d'ajouter des accusations de gangstérisme et de blanchiment d'argent au dossier de Piccirelli s'il ne plaidait pas coupable. M. Piccirelli n'a pas plaidé coupable et les menaces ont été mises à exécution, s'est insurgé Me Davis.

À un certain moment, en 2007, Me Tremblay a été contrainte de se retirer du dossier, pour cause de maladie. La procureure de la Couronne fédérale, Me Sylvie Kovacevich, a alors endossé une deuxième toge, celle du procureur général du Québec. Elle aussi s'est attiré le courroux de la défense. En fait, les avocats lui reprochaient d'avoir obtenu le rapport médical de Piccirelli sans son consentement. «Ce mépris flagrant à l'égard des dispositions législatives entourant la confidentialité des renseignements médicaux témoigne d'un comportement qui se veut au-dessus des lois et montre un mépris des droits fondamentaux du requérant», fait valoir la requête. Dans ce cas précis, le juge Garneau a estimé que ce geste était inacceptable, même si la procureure n'avait pas agi de mauvaise foi. Enfin, dans le cadre du processus judiciaire, le juge Garneau avait exclu une partie de la preuve parce que deux policiers de la Sûreté du Québec avaient modifié leurs versions après s'être concertés.