Le retour du kirpan devant la justice résulte-t-il d'une banale querelle d'élèves montée en épingle ou doit-on y voir une agression véritable? C'est ce que le juge Gilles Ouellette devra décider au terme du procès qu'il a commencé à entendre, hier, au tribunal de la jeunesse, à Montréal.

Au banc des accusés, un élève d'origine sikhe de 13 ans, de la polyvalente Cavelier-de-LaSalle. Il fait face à trois accusations de voie de fait armée. Plus précisément, on lui reproche d'avoir utilisé son kirpan et une aiguille (genre d'aiguille à tricoter dont il se sert pour rentrer ses cheveux dans son turban), pour menacer deux élèves de son école, le 11 septembre dernier. Les plaignants sont des jumeaux de 13 ans, qui en paraissent tout juste 8. Leur mère a expliqué qu'ils avaient des problèmes de croissance et d'adaptation. «Ils performent comme des enfants de 10 ans», a-t-elle dit, en signalant qu'ils étaient sous médication et suivis depuis la maternelle. Depuis l'événement, ils seraient encore plus anxieux, agressifs et auraient de la difficulté à dormir.

 

L'incident serait survenu pendant la pause du midi, mais hors de l'enceinte de l'école. L'un des jumeaux, qui a témoigné hier, a raconté que son frère et lui marchaient dans la rue derrière trois garçons de leur école, dont l'accusé. L'un des trois garçons avait invité les jumeaux à les suivre. Ils allaient au dépanneur acheter de la gomme. Mais après un certain temps, les deux autres auraient décidé qu'ils ne voulaient pas être suivis. Ils auraient dit aux jumeaux d'arrêter de les suivre.

L'accusé aurait sorti son kirpan de sous son chandail. «Il y avait du tissu blanc alentour... il l'a développé... C'était la couleur d'une fourchette. Il a dit: veux-tu que je l'utilise ?», a raconté le jeune témoin. Toujours selon ses dires, l'accusé a aussi sorti une aiguille pour menacer son frère jumeau, qui aurait été poussé par un autre des garçons, un «méchant», et serait tombé par terre. Voyant un homme âgé qui marchait dans leur direction, l'accusé aurait alors remballé son kirpan avec le tissu et des élastiques, puis l'aurait «serré dans ses pantalons».

Les jumeaux se sont enfuis en courant. Le témoin raconte avoir appelé sa mère pour lui dire qu'on lui avait pointé un couteau. Celle-ci leur a recommandé de vite se rendre à l'école. Ils sont allés voir la directrice, qui a appelé la police.

Lorsque Me Julius Grey, avocat de l'accusé, a entrepris son contre-interrogatoire, le jumeau avait de la difficulté à saisir le sens de plusieurs questions. «Je ne comprends pas», répétait le petit, manifestement désemparé. À un certain moment, il a éclaté en sanglots et semblait affolé.

Le procès se poursuit aujourd'hui. Me Grey a déjà annoncé qu'il avait l'intention de demander un changement aux conditions imposées à son client. Celui-ci est suspendu de l'école depuis l'incident et la commission scolaire envoie des professeurs chez lui. «Je vais présenter une requête pour qu'il retourne à l'école», a fait valoir l'avocat.

En 2006, la Cour suprême a autorisé le port du kirpan à l'école. Hier, une constable spéciale a averti Rick Singh, un ami de la famille de l'accusé, qu'il ne pouvait pas avoir de kirpan sur lui dans la salle d'audience. Il est sorti et n'est pas revenu. «Je n'ai pas voulu faire de trouble. Le kirpan, c'est un symbole pour nous. Je le porte comme je porte mon alliance de mariage.»