Les auteurs de l'incendie du repaire des Hells Angels n'ont pas été identifiés, mais les experts craignent déjà le pire. Le spectre d'une seconde guerre des motards plane au-dessus des cendres du mythique bunker de Sorel.

«Je peux vous assurer que les cellulaires des Hells du Canada au complet ne dérougissent pas en ce moment», affirme Julian Sher, journaliste et auteur de deux ouvrages sur les célèbres motards criminels. «Pour les Hells plus que pour d'autres gangs, l'image est très importante. La forteresse de Sorel est puissante et symbolique. On vient de s'en prendre à l'institution, il risque donc d'y avoir des conséquences majeures.»

Jeudi et vendredi, la Sûreté du Québec (SQ) a saisi 1200 kg d'explosifs volés à Montréal et à Mont-Joli. Trois hommes en lien avec les motards ont été arrêtés relativement à cette affaire. Un membre des Hells de la région de Québec, Mario Bergeron, est également porté disparu depuis le mois d'avril.

«Je ne veux faire peur à personne, mais l'ambiance en ce moment ressemble à celle qui régnait en 1992, quelque temps avant le début de la guerre des motards», a confié un ancien officier de la police de Montréal (SPVM), sous le couvert de l'anonymat. «Des membres des Hells qui accumulent de la dynamite, des arrestations, des attaques... c'est le commencement de la fin pour quelqu'un.»

Qui est responsable?

Le bunker de Sorel abrite les activités des Hells Angels de Montréal. Ils s'y sont installés en 1977, lorsque le gang a commencé à s'implanter au Canada.

Hier, les spéculations fusaient de toutes parts sur l'identité des auteurs de l'attaque contre la forteresse de la rue Provost.

«La thèse qui voudrait que les Hells aient eux-mêmes fait exploser leur quartier général me semble improbable, dit William Marsden, auteur et spécialiste de la question des gangs de motards. Et ce n'est pas dans les habitudes de la mafia de faire des actions de ce genre.»

L'officier de police à la retraite interrogé par La Presse écarte également la thèse de la mafia italienne: «La mafia n'a aucune raison de s'en prendre à eux, car ils sont leurs plus gros acheteurs de drogue, dit-il. C'est un gros coup, il fallait avoir des couilles. Les seuls qui seraient assez forts en ce moment pour s'en prendre à eux sont une coalition de gangs de rue et la mafia russe.»

«Soit c'est un groupe très bien organisé, soit c'est quelqu'un de très stupide. Affronter les Hells, c'est signer son arrêt de mort», tranche l'auteur de La route des Hells et de Les anges de la mort, Julian Sher.

Le criminologue Jean-Paul Brodeur croit qu'il faut être prudent avant de spéculer sur des responsables. «La SQ est en tout début d'enquête; personne ne possède assez d'information pour désigner les coupables, prévient-il. On présuppose une agression, mais les études démontrent qu'une très grande proportion des incendies criminels sont causés par leurs victimes elles-mêmes. De plus, les organisations criminelles ne se livrent à des guerres ou à des tueries qu'en dernier recours.»

La guerre entre les Hells Angels et les Rock Machines, affiliés aux Bandidos, a sévi au Québec dans les années 90. Ce conflit a engendré des règlements de comptes multiples entre les deux groupes.

«Depuis la fin de la guerre et le superprocès des Hells, les policiers ont beaucoup réduit leurs effectifs de lutte contre le crime organisé, explique Julian Sher. Je pense que les événements de samedi sont un signal d'alarme pour les forces policières et les politiciens. Les Hells sont comme la mauvaise herbe: ils reviennent toujours.»