Les crocodiles et les hommes dansent un improbable tango. Un saurien se dresse pour tenter d'attraper un poulet qu'on lui tend avec malice. Dans le village de Bazoulé, à l'ouest de Ouagadougou, plus d'une centaine de crocodiles vivent en harmonie avec les habitants.

Nourris par la population locale, ces reptiles sont en quelque sorte domestiqués et ne représentent plus de danger pour les hommes. Mais les habitants ont une autre explication: ces crocodiles sont sacrés.

«On s'est habitué avec les crocodiles, quand on était petits, à nager dans l'eau avec eux et tout ça», affirme Pierre Kaboré, qui est né et a grandi à Bazoulé.

«On peut toujours les approcher, les toucher, s'asseoir dessus... et, si on a le courage, s'allonger dessus. Il n'y a pas de problème, ce sont des crocodiles sacrés, ils ne font de mal à personne», assure-t-il à quelques mètres du sourire carnassier de l'animal qui n'a fait qu'une bouchée du poulet vivant.

Selon la légende, au XIVe ou le XVe siècle, des crocodiles auraient guidé les villageois qui vivaient dans un univers de sécheresse vers une source d'eau.

«Les femmes faisaient des dizaines de kilomètres pour aller chercher de l'eau. Un jour, elles ont vu deux crocodiles qui se suivaient, elles les ont suivis et ils leur ont montré un étang», raconte Pierre. «Les villageois ont organisé une fête pour célébrer et remercier les reptiles».

Depuis lors, chaque année, fin octobre, une fête nommée «Koom Lakré» leur est dédiée. Pendant les festivités, les habitants font des sacrifices et demandent aux animaux d'exaucer leur voeux de santé, de prospérité et de bonne récolte.

À Bazoulé, l'animal qui effraie ailleurs est devenu le totem sacré du village, un protecteur. «Les crocodiles sont représentés comme l'âme de nos ancêtres. S'ils meurent, on les enterre et on fait même des funérailles, comme si c'était un être humain», assure Pierre Kaboré.

À en croire les habitants de Bazoulé, une véritable connexion mystique s'est installée entre les villageois et les reptiles: «Quand un malheur va traverser ce village, ils font des cris. Les vieux notables sont chargés d'interpréter ces cris pour faire des voeux, pour conjurer ces malheurs» à venir.

Double menace

La complicité entre l'homme et l'animal est devenue un ressort de développement pour le village. L'Association Tourisme et développement de Bazoulé a été mise sur pied. Aujourd'hui, de nombreux touristes viennent dans ce village pour dompter leur peur des crocodiles.

À leur arrivée à Bazoulé, les voyageurs sont invités à acheter des poulets qui, suspendus à un bâton tenu par un guide, serviront à faire sortir les crocodiles de la mare afin que les touristes puissent faire des photos avec eux.

Thomas Baspin, un jeune Français venu rendre visite à ses grands-parents au Burkina, s'est essayé sur un des prédateurs au bord du lac.

«C'était sympa à voir de loin, mais s'asseoir dessus, là c'était un petit peu plus flippant...! Mais c'est super, il faut le faire au moins une fois, ça vaut le coup!», rigole-t-il.

Ces scènes cocasses sont toutefois en péril car Bazoulé est menacé.

Les attentats ont fait chuter le tourisme des occidentaux dans la région. «On pouvait avoir plus de 10 000 visiteurs par an mais, actuellement, ça ne dépasse pas les 4000 ou 5000», résume Raphael Kaboré, guide à la mare.

Les revenus ont baissé et les villageois souffrent. Le tourisme était un des moteurs de l'économie locale.

L'autre problème est le réchauffement climatique, avec une montée des températures constatées et une chute de la pluviométrie: la mare rétrécit donc chaque année.

Les crocodiles devront-ils à nouveau guider les villageois vers des contrées plus clémentes ?