Le coin de la pièce semble totalement vide, mais «il y a une vieille femme portant une robe bleue usagée», assure à sa cliente médusée Chew Hon Chin, qui exerce la profession lucrative de «chasseur de fantômes» à Singapour.

«Ignorons cette femme pour le moment. Laissez-moi d'abord nettoyer votre logement des esprits malins et je la ferai disparaître ensuite», explique l'exorciste à Zhang Qiao Zhu, une femme au foyer de 56 ans.

Prenant l'air grave, M. Chew élève deux baguettes en métal et fixe les boules noires fixées à chacune de leur extrémité. Il désigne un placard fermé.

«À l'intérieur, il y a une serviette bleue avec des motifs rayés. Prenez-la et retirez-la de la pièce», ordonne-t-il à sa cliente en mandarin.

Mme Zhang s'exécute sans broncher, sans questionner son apparente aptitude à identifier la serviette «mauvaise» dans un placard.

La femme, d'origine chinoise comme une majorité de Singapouriens, a fait appel à M. Chew pour enquêter sur des phénomènes étranges se produisant dans sa maison. Elle sentait que quelque chose, ou quelqu'un, la secouait chaque nuit alors qu'elle essayait de s'endormir.

Elle n'a pas choisi son exorciste au hasard. À 64 ans, M. Chew est l'un des «chasseurs de fantômes» les plus expérimentés de la ville-Etat. Au-dessus la porte de son bureau, il a fixé, en lettres rouges rehaussées d'or, l'inscription «Ghostbusters», du nom d'un célèbre film sur la traque des fantômes.

L'homme ne se plaint pas. L'activité est bonne pour lui à Singapour, où la superstition reste fortement ancrée en dépit du modernisme affiché par l'un des pays les plus riches au monde.

M. Chew traite trois à quatre cas par jour, offrant une gamme de services promettant «un bonheur renforcé» à 88 dollars singapouriens (68 dollars), ou «l'apaisement d'un décédé», à «100 dollars par âme». Ses prix atteignent plusieurs milliers de dollars pour les cas les plus difficiles d'envoûtement.

Mais celui qui conduit désormais une BMW affirme avoir souffert pour en arriver là.

Il a acquis ses compétences après avoir été guéri d'un sort lancé contre lui par un ancien employé voulant se venger d'avoir été licencié. Il en a souffert pendant dix ans, vomissant du sang et parfois des insectes, raconte-t-il.

Après sa guérison, M. Chen a reçu la «visite» d'un dieu taoïste, l'empereur de Jade, qui l'a consacré «fils de dieu» et lui a transmis les secrets de l'exorcisme. L'apprentissage s'est poursuivi pendant 108 jours sur un îlot désert en Indonésie.

«Lorsque vous pénétrez dans mon bureau, je peux immédiatement déceler les mauvais esprits qui vous entourent», assure-t-il au journaliste venu le rencontrer.

Pour purifier un client, M. Chew l'emmène dans une clairière de la banlieue de Singapour, où il le place au centre d'un cercle de tissus qu'il enflamme. Après ce rituel, le client prend un bain dans une eau parfumée aux épices.

«Le feu consume le diable dans votre corps, l'eau lave l'âme», explique-t-il.

Dans son bureau, situé dans un centre commercial à quinze minutes des gratte-ciel du centre des affaires, l'exorciste a entreposé une «prison des fantômes». Dans des sacs en plastique sont enfermés divers objets et matériaux maléfiques, sous forme de liquides sombres, de poupées macabres ou de sculptures en bois.

M. Chew n'appréhende pas cette proximité. «Comme un policier ne doit pas avoir peur des criminels, je ne peux pas craindre les fantômes. Ce sont eux qui doivent me redouter».