Elles sont grand-mères ou arrière-grands-mères, certaines pèsent un bon quintal, mais elles se moquent de leur âge et leur poids quand elles sillonnent les fêtes populaires tchèques avec leur groupe, «les Majorettes de Horni Lhota», et leur célèbre French cancan. 

«On fait ça pour s'amuser, on rit bien et ça plait beaucoup», dit Libuse Novakova, 61 ans, en enfilant ses bas résille noirs parfaitement assortis à son jupon à frou frou, avant le numéro qui a fait la réputation des «Mazoretky».Cette robuste comptable à la retraite a elle-même personnalisé son caleçon de galons à franges et de coeurs couleur sang, ses chaussures noires à talon et ruban rouge lui plaisent tant qu'elle compte «les porter dans son cercueil».

Né il y a sept ans d'un cours de danse pour retraitées, le groupe amateur qui a fait ses débuts en «vraies» majorettes connaît un succès croissant en République tchèque, avec une pluie d'articles et quelques passages à la télévision.

«On fait un à trois spectacles par semaine, on n'a plus le temps de répéter», soupire Hana Havelkova, autrefois institutrice, aujourd'hui «chef» de cette troupe qui veut «rire et faire rire».

Toutes habitent le même village, Horni Lhota, une bourgade de 600 âmes, située à l'est du pays, près de la frontière polonaise, dans une région qui porte les stigmates de son passé minier. La plus âgée a 71 ans et un physique plantureux digne des films de Fellini.

Souriantes, pimpantes et survoltées, les «Mazoretky» sont à mille lieues des grand-mères en blouse fleurie que l'on croise habituellement dans les campagnes de l'ancien pays communiste. Les yeux des vieux messieurs brillent quand elles attaquent leur French cancan, des billets de 200 couronnes (8 euros) glissés sous leurs bas résille.

Leur quadrille déjanté du «Lac des Cygnes» remporte toujours un franc succès: les dix mamies, en chaussons, couche culotte et tutu blanc vaporeux, enchaînent jetés et entrechats avec des figures librement inspirées de la danse des canards, sur la musique vibrante de Tchaïkovski.

«On s'ennuierait trop si on se contentait de s'occuper de nos maris, de nos petits-enfants et de nos maisons: c'est parfois fatigant, mais je n'arrêterai pour rien au monde», plaisante Jarmila, 64 ans.

Son époux pense qu'elle est «complètement folle, à son âge, de se produire en public dans des tenues pareilles», mais elle s'en moque, «rire et danser avec les filles, c'est toute sa vie».

Le show comporte trois numéros entrecoupés de longues pauses, pour se changer et récupérer. En prologue, un magnétophone déroule un vieux tube: «Tu n'as plus 20 ans et même plus 25...» Puis les Majorettes se lancent en levant allègrement la jambe.

Demandé partout dans le pays, le groupe qui s'est déjà produit en Pologne anime contre cachet les bals et les fêtes populaires mais intervient gratuitement dans les maisons de retraite «parce que c'est important d'apporter la joie de vivre».

«Quand nos pensionnaires voient des personnes de leur âge danser et s'amuser, ça leur donne énergie et vitalité», souligne, Nada Kopytkova, une infirmière du foyer de Hlucin, près d'Ostrava.

«C'est vraiment super, on rit beaucoup», renchérit une spectatrice de 91 ans, qui a connu l'empire austro-hongrois, deux guerres mondiales, l'occupation nazie, le communisme et sa chute.

Dans un pays à la population vieillissante, la bonne humeur des Majorettes tranche avec la morosité des retraités qui peinent à vivre avec leurs maigres pensions et regrettent souvent les avantages sociaux de l'époque communiste.

De ce passé révolu, les vedettes d'Horni Lhota ont gardé un improbable numéro de «pyramide humaine» inspiré par les grandes «spartakiades» qui réunissaient autrefois les athlètes du pays.