L'élection de François Legault forcera Valérie Plante à revoir sa relation avec Québec, selon trois observateurs de la scène municipale. L'arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec (CAQ) risque de représenter une embûche majeure pour les projets de mobilité de la mairesse, notamment la réalisation de la ligne rose. Pour éviter de se trouver isolé, Montréal devra miser sur son importance économique pour le reste de la province.

QUEL AVENIR POUR LA LIGNE ROSE ?

Valérie Plante a estimé hier que l'élection de la CAQ ne sonnait pas le glas de la ligne rose, à laquelle François Legault s'est ouvertement opposé. Malgré le changement de gouvernement, la mairesse a indiqué que les études se poursuivraient et que le projet serait évalué au mérite.

Reste que l'avenir de ce projet phare pour l'administration Plante est bien incertain, alors que le gouvernement caquiste s'annonce plus « pragmatique » en matière d'investissements, anticipe Danielle Pilette, professeure à l'UQAM en gestion municipale. Celle-ci prévoit que la CAQ favorisera les projets plus modestes, ce qui risque de priver Valérie Plante des moyens de ses ambitions. Elle en veut pour preuve que, en campagne, François Legault s'est dit ouvert à une ligne rose en surface, bien qu'il n'en ait jamais été question.

Il a aussi appuyé l'idée d'un tramway pour relier l'Est au centre-ville, un projet nettement moins onéreux qu'une ligne de métro.

CLIVAGE ENTRE MONTRÉAL ET SA BANLIEUE

Pour l'ex-maire Laurent Blanchard, l'élection de la CAQ « n'est pas une bonne nouvelle pour Montréal ». Celui-ci souligne que l'île aura une faible voix au Conseil des ministres de la CAQ. « Avec 2 députés sur 74, Montréal n'aura pas un poids déterminant, surtout qu'il y a des poids lourds de la CAQ dans les couronnes nord et sud. »

L'ex-élu municipal, militant péquiste actif, constate également que le programme caquiste accordait peu d'importance à l'île, concentrant ses engagements dans la banlieue.

Danielle Pilette n'est pas étonnée de ce clivage entre Montréal, qui a principalement voté Parti libéral du Québec (PLQ) et Québec solidaire (QS), et sa périphérie, qui a massivement voté en faveur de la CAQ. Elle souligne que ce clivage s'observe partout en Occident, les métropoles votant davantage à gauche que leur périphérie, en raison de la concentration de jeunes.

Ce même clivage s'est d'ailleurs fait sentir à Québec et à Sherbrooke, où Québec solidaire a réussi des percées lundi soir.

RÉFORME DE LA CMM

Longtemps active en politique montréalaise, Louise Harel s'inquiète de la volonté de François Legault de réformer la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui regroupe les 82 municipalités de la région.

Le chef caquiste avait surpris tout le monde le printemps dernier en disant vouloir réformer la gouvernance de la région pour donner plus de poids à la banlieue. « Je mets en garde la CAQ contre une pareille chose », prévient Louise Harel. C'est elle qui, alors qu'elle était ministre des Affaires municipales, avait confié à Montréal un vote prépondérant au sein de la CMM pour éviter la paralysie qui avait marqué son ancêtre, la Communauté urbaine de Montréal.

PARLER ÉCONOMIE

Pour éviter de voir son poids réduit à la CMM, Danielle Pilette estime que l'administration Plante devra parler un langage que la CAQ comprend bien : celui de l'économie. « Comme ce sera un gouvernement de comptables, si Mme Plante est capable de s'appuyer sur des données économiques, elle a tous les arguments pour garder la présidence de la CMM et garder intact le poids de Montréal.

L'économie, c'est ce sur quoi la CAQ est le plus sensible », estime l'universitaire.

LOCOMOTIVE

Valérie Plante semble l'avoir déjà saisi, puisqu'elle a placé dès hier la relation entre son administration et le nouveau gouvernement caquiste sous le signe de l'économie. Interrogée par les journalistes, elle s'est dite peu inquiète de voir sa ville négligée, puisque « M. Legault vient du milieu des affaires et comprend que Montréal est la locomotive du Québec », a-t-elle dit.

Valérie Plante a d'ailleurs offert sa collaboration au premier ministre pour assurer le développement économique dans la métropole. « Ça va bien, il faut que ça continue comme cela », a-t-elle insisté.

L'AUTONOMIE MUNICIPALE À L'ÉPREUVE

L'élection de François Legault sera également l'occasion d'évaluer la réelle autonomie des villes, notamment le fameux statut de métropole accordé à Montréal.

Durant son mandat, le gouvernement Couillard a adopté diverses lois pour renforcer le pouvoir des municipalités, mais l'élection de Doug Ford en Ontario a rappelé aux élus municipaux un peu partout au Canada que les provinces continuaient à tenir le haut du pavé.

Tout comme son collègue ontarien, François Legault s'est d'ailleurs dit ouvert à réduire le nombre d'élus à Montréal (qui en compte 103). « Non, je ne suis pas ouverte à en discuter », a clairement réitéré Valérie Plante, hier. Elle a ajouté que les villes ne voulaient pas se faire dire quoi faire.

UN TEST ÉLECTORAL POUR VALÉRIE PLANTE

Paradoxalement, les élections de lundi soir imposeront un test électoral à Valérie Plante d'ici peu. En effet, deux élus municipaux de Montréal sont devenus députés et devront donc être remplacés à l'hôtel de ville lors d'élections partielles.

La mairesse d'arrondissement Chantal Rouleau a été élue pour la CAQ dans Pointe-aux-Trembles et le conseiller Frantz Benjamin pour le PLQ dans Viau. Ces départs de deux membres d'Ensemble Montréal - ex-Équipe Coderre - viennent affaiblir l'opposition à l'hôtel de ville.

La mairesse a dit y voir une « opportunité » d'augmenter sa majorité, mais Projet Montréal devra d'abord réussir ce premier test électoral depuis son arrivée au pouvoir, en novembre 2017. Danielle Pilette estime toutefois que ces résultats ne porteront pas trop à conséquence, puisqu'ils surviennent à trois ans des prochaines élections municipales, prévues en novembre 2021.