« Moi, je n'ai jamais eu accès à ça. » Farin Shore, 55 ans, n'est pas né de la dernière pluie. Il a connu la rue, a vécu du travail du sexe. Et il a été accro aux drogues injectables.

Désormais « pair aidant » dans les services d'injection supervisée (SIS) de la métropole, il s'est réjoui lorsqu'il a appris que ces points de service étaient à Montréal pour y rester.

Apparus il y a un an, les SIS ont déjà accueilli des centaines de personnes qui utilisent des drogues injectables. Trois d'entre eux, les sites fixes Cactus et Dopamine ainsi que l'unité mobile L'Anonyme, ont reçu de Santé Canada les exemptions nécessaires pour poursuivre leurs activités pendant trois années supplémentaires. Quant à l'autre endroit fixe, Spectre de rue, on saura à l'automne si Ottawa allonge également son mandat.

Farin pourra donc continuer de jaser avec les toxicomanes, leur faire part de son expérience, leur donner des outils pour combattre leur dépendance.

Depuis un an, les quatre SIS ont reçu 876 personnes, pour un total de 21 265 visites. Ces personnes ont donc eu accès « à un lieu sécuritaire et à du personnel médical qualifié » pour les assister dans leurs injections, ce qui a aidé à « diminuer le nombre de seringues souillées dans les lieux publics » et contribué sans conteste « à la prévention des surdoses », a soulevé la Dre Carole Morissette, de la direction régionale de santé publique. « On peut se féliciter de ce qu'on a accompli jusqu'ici. »

Travail à faire

Le travail n'est pas fini pour autant. Sandhia Vadlamudy, directrice générale de Cactus Montréal, au centre-ville, souhaiterait, par exemple, que l'organisme qu'elle dirige dispose de sommes suffisantes pour allonger ses heures d'ouverture. Actuellement, Cactus ouvre ses portes à 14 h, mais les salles d'injection ne sont disponibles qu'à compter de 16 h.

Avant 16 h, « on ne remplit donc pas notre mission », déplore Mme Vadlamudy, qui préférerait ouvrir les salles « idéalement à midi ».

Triste hasard, alors même que les médias se trouvaient dans les locaux de Cactus lundi, une personne s'injectait à l'extérieur, sur le pas de la porte, deux heures avant l'ouverture des lieux.

Les quatre SIS doivent se partager une enveloppe de 12,3 millions accordée par Québec sur trois ans. Une somme additionnelle a été débloquée dans le contexte de lutte contre les surdoses à Montréal, mais Cactus attend toujours de savoir si cette subvention sera récurrente avant de l'investir dans des heures d'ouverture supplémentaires - afin de ne pas devoir mettre fin au service après quelques mois, par exemple.

Une autre mesure qui favoriserait l'accès aux installations serait la permission pour les usagers de diviser leurs doses entre eux avant de procéder aux injections. Cette pratique est pour l'heure interdite dans les SIS, car elle est associée à du trafic de drogue selon les normes de Santé Canada.

« On souhaite dépasser cette norme et mieux la documenter », a affirmé Sandhia Vadlamudy.

Car « les gens qui veulent partager leur dose se font mettre dehors », a renchéri Farin Shore.

La Dre Carole Morissette a néanmoins annoncé, lundi, une « bonification des services » prévue au cours des prochaines semaines. D'abord, une trousse d'analyse des drogues sera disponible à même les salles d'injection afin de détecter la présence de fentanyl.

Ensuite, un projet-pilote de six mois permettra l'injection assistée par un pair. En fournissant un consentement « éclairé », un usager pourra ainsi recevoir une injection dispensée par une personne l'accompagnant.

« Plusieurs personnes ne procèdent pas elles-mêmes à leur injection, parce que ce n'est pas dans leurs habitudes ou en raison d'une limitation physique, a expliqué Mme Vadlamudy. C'était une grande barrière à l'accessibilité. »

Le défi de la cohabitation

Sandhia Vadlamudy, de Cactus Montréal, a également vanté le travail des comités « bon voisinage », mis sur pied pour faciliter l'intégration des SIS à leur quartier respectif.

Ainsi, chaque mois, des résidants et des commerçants se réunissent entre autres avec des représentants des SIS et du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour identifier les éléments qui pourraient améliorer leur cohabitation.

« Au début, c'était assez difficile, mais on a trouvé des solutions très rapidement », a reconnu Nancy Larente, de l'OSBL d'habitation Un toit en ville, établi à un jet de pierre de Cactus.

Par ailleurs, depuis l'automne dernier, des parents s'inquiètent de la présence du SIS Spectre de rue à 200 m de l'école Marguerite-Bourgeoys. La Commission scolaire de Montréal (CSDM) a d'ailleurs envoyé une lettre à la mairesse de Montréal pour dénoncer, notamment, la présence de vendeurs de drogue près de l'école. Le SPVM a toutefois indiqué que le nombre d'actes criminels, notamment le trafic de drogue, n'avait pas connu de hausse autour des trois SIS fixes depuis un an.

Gilles Beauregard, directeur général de Spectre de rue, en a soupé que l'organisme fasse encore l'objet de critiques à ce sujet.

« Ça fait 20 ans qu'on est là, a-t-il dit. Auparavant, on distribuait du matériel, et les gens allaient s'injecter dans les parcs. Maintenant, ils s'injectent sur place, une infirmière est là, ils sont pris en charge. Les 20 000 visites dans les SIS, c'est autant de seringues qui n'ont pas fini dehors. »

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EN CHIFFRES

83 % des utilisateurs des SIS sont des hommes

25 % des utilisateurs vivent dans la rue

Parmi les utilisateurs, 29 % ont de 20 à 29 ans, 30 % ont de 30 à 39 ans et 26 % ont de 40 à 49 ans.

42 % c'est la cocaïne qui est la substance qui a été le plus souvent injectée dans les SIS de Montréal. Les médicaments opioïdes (34 %) et l'héroïne (14 %) suivent dans l'ordre.

Source : CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal