David Smith a 70 ans. Voilà près d'un demi-siècle qu'il demeure dans l'ouest du Plateau Mont-Royal, près du parc Jeanne-Mance.

Religieusement, chaque week-end de l'été, M. Smith se rend jouer à la balle molle sur le « terrain Nord » du parc. Enfant, son fils y a frappé ses premières balles, et il vient encore y faire son tour à 27 ans.

Ce terrain, encadré par les avenues du Parc, du Mont-Royal et de l'Esplanade, est devenu, au fil du temps, un lieu de rassemblement incontournable du quartier. Là où, le temps de matchs improvisés, les joueurs chevronnés venaient montrer leur savoir-faire et les sportifs du dimanche, peaufiner le leur.

« C'était un bel endroit près de la montagne où la communauté pouvait se réunir », raconte David Smith, croisé hier après-midi au parc.

« C'était la plus belle cour arrière de Montréal, où des gens de tous les âges, toutes les cultures, les anglophones comme les francophones, passaient du temps ensemble... » - David Smith, en parlant du « terrain Nord » du parc Jeanne-Mance

« J'ai rencontré du monde que je n'aurais jamais croisé autrement », raconte pour sa part Sébastien Alexander, qui y jouait trois ou quatre fois par semaine après le travail.

« C'était vraiment un terrain magique, renchérit Marie-Claude Lacerte. Même les touristes s'arrêtaient pour jaser et prendre des photos ! »

Toutefois, depuis quelques semaines, le « terrain Nord » n'est plus. Inaccessible pendant tout l'été 2017 en raison de la réfection des terrains de tennis situés à proximité, le terrain de balle devait retrouver ses droits à la fin du mois de mai 2018. Or, il a plutôt été rasé.

SÉCURITÉ

En février dernier, Luc Ferrandez, maire d'arrondissement et responsable des parcs au comité exécutif, avait assuré que le terrain serait rendu à ses usagers vers le 28 mai. À quelques jours de l'échéance, Alex Norris, conseiller de la ville pour le district Jeanne-Mance, a plutôt fait savoir que l'espace ne serait plus disponible pour la balle. Puis les poids lourds ont pris le terrain d'assaut.

« Nous savons que des gens ont une relation très émotive avec ce terrain, qui a des racines profondes dans le quartier », a dit M. Norris en entrevue avec La Presse hier. La Ville a néanmoins justifié sa décision par des enjeux de sécurité.

En effet, au cours de l'été 2016, une dame a été blessée après avoir été atteinte à la tête par une balle sur ce terrain non clôturé. Elle a intenté une action en justice contre la Ville et obtenu gain de cause.

« Une fois que nous avons dédommagé une personne qui s'est blessée, on ne peut pas faire fi de la situation », a poursuivi N. Norris, qui affirme être au courant d'un autre cas où une citoyenne a été blessée par une balle.

Pour alimenter sa réflexion, la Ville a commandé une étude sur la trajectoire des balles sur ce terrain. Livré en mai 2017, le rapport ne fournit aucune recommandation formelle, mais confirme que davantage de balles perdues s'échappaient du « terrain Nord » que du « terrain Sud » voisin, plus grand, muni d'un arrêt-balle plus haut et ceinturé d'une clôture.

La municipalité a toutefois refusé net d'installer des clôtures autour du « terrain Nord », car celui-ci n'est pas suffisamment grand pour se conformer aux normes établies par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport pour de la balle molle. Faute d'espace suffisant, pas de terrain.

« C'est un terrain pour enfants sur lequel des adultes ne devraient pas jouer », tranche Alex Norris.

Or, un flou subsiste à ce sujet, car les normes édictées par Québec concernent les événements sanctionnés par Softball Québec. Mais au parc Jeanne-Mance, le « terrain Nord » a surtout fait sa renommée grâce à ses parties récréatives improvisées du week-end.

« C'est nébuleux », commente Marie-Claude Lacerte, résidante du quartier qui a démarré une école de balle molle il y a trois ans.

« Ça fait 50 ans que des gens jouent ici, c'est un des terrains les plus occupés de la ville. Il n'y a pas de plan directeur pour le parc, on ne comprend donc pas pourquoi la Ville a pris le droit de détruire le terrain sans consultation additionnelle. Il me semble qu'on aurait pu trouver des solutions de revitalisation, durables ou éphémères. »

CONSULTATIONS

Alex Norris affirme que des consultations auront lieu au cours des prochains mois, justement dans le but d'élaborer un plan directeur qui convienne à tous les usagers du parc. Il ajoute être à la recherche de solutions, et ce, même si rien n'indique que le petit terrain renaîtra de ses cendres.

« Si on veut le reconstruire, on doit le faire selon les normes et règles en vigueur. On a pris une décision qu'on ne souhaitait pas prendre, mais avec une telle densité d'usagers, il faut vraiment faire attention à ce que tout soit sécuritaire. » - Alex Norris, conseiller de la ville pour le district Jeanne-Mance

De leur côté, les amis du « terrain Nord » s'organisent. Ils talonnent leurs élus, ont lancé une pétition qui a recueilli presque 1500 noms et tentent de garder en vie leurs matchs improvisés, désormais disputés sur le « terrain Sud » seulement les dimanches. La plupart des matchs compétitifs ont pour leur part été déplacés dans d'autres parcs de l'arrondissement.

Situé dans un secteur moins fréquenté, le « terrain Sud » est toutefois moins populaire que son voisin et la participation commence tranquillement à s'éroder.

Mais les purs et durs sont catégoriques : ils ne sont pas près d'abandonner leur « terrain Nord ».