Odeurs de fumier, maladies comme la galle, ailes déplumées et soins à prodiguer : la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPCA) anticipe un problème de poules abandonnées au Québec. Avec l'arrivée du mois de mai, le phénomène d'adoption des poules urbaines promet de revenir en force à Montréal.

Le fabricant de poulaillers clés en main Poc Poc, partenaire du projet-pilote dans Rosemont-La Petite-Patrie, lance cette semaine une version améliorée permettant de garder les volatiles durant tout l'hiver. La jeune entreprise espère que 300 familles se lanceront dans l'aventure des poules pondeuses cette année, a appris La Presse, comparativement à 50 familles adoptives dispersées un peu partout autour de Montréal l'an dernier.

À la SPCA de Montréal, rue Jean-Talon Ouest, le coq Tommy est devenu bien malgré lui la mascotte du refuge, explique-t-on.

La directrice générale de la société et chercheuse indépendante Élise Desaulniers explique que le coq nain au plumage blanc et noir a été rescapé de justesse des rues de Montréal. L'organisme craint des dérapages, comme dans certains quartiers de Miami, où l'escouade « Chicken Buster » a repris ses activités de plus belle pour stopper les évasions de poules et de coqs lâchés libres. Là-bas, des dizaines de volatiles sont capturés chaque semaine (voir texte ci-dessous).

« La majorité des coqs qu'on reçoit était probablement des petits poussins nés dans un couvoir. Mais comme il est quasi impossible de différencier un coq d'une poule à la naissance, on peut présumer qu'une famille s'est retrouvée avec un coq. Normalement, les coqs finissent broyés vivants dans les usines d'élevage parce que personne n'en veut. Il faut comprendre qu'il faut au moins quatre poules pour un coq. Sinon, le coq devient agressif. Ce sont des oiseaux bruyants, malcommodes à garder en ville. »

Depuis un an, Mme Desaulniers affirme avoir recensé pas moins d'une trentaine de volatiles abandonnés, dont 10 coqs. Elle s'attend à un nombre croissant cette année. « La souveraineté alimentaire est un rêve. Mais l'agriculture animale ne marche pas en ville, c'est facile de déchanter. Après deux ou trois ans, la production d'oeufs d'une poule chute rapidement. Avec les frais vétérinaires, le coût d'un seul oeuf peut facilement atteindre 2 $ », soutient-elle.

DU POUR ET DU CONTRE

Alex Mclean, cofondateur de l'entreprise d'adoption de ruches en ville Alvéole et partenaire d'affaires de Poc Poc, souligne qu'il est important de ne pas se lancer dans l'aventure des poules sans peser le pour et le contre.

« Il faut relativiser. Un chien nécessite plus de temps qu'une poule. Et la connexion avec les poules peut devenir aussi forte qu'avec un chien ou un chat. » - Alex Mclean

Moyennant un investissement d'environ 1500 $, les familles qui choisissent Poc Poc achètent un poulailler tout inclus, insonorisé, isolé pour l'hiver, incluant du grillage pour les prédateurs, avec un minimum de deux ou trois poules (elles n'aiment pas la solitude). L'ensemble de départ comprend aussi les services de fermiers certifiés, de la moulée et des écailles d'huîtres afin d'assurer une belle qualité aux coquilles d'oeufs.

Mélanie Charbonneau et quatre familles de sa ruelle verte « Le chemin des cheminées », dans Rosemont, ont été les premières à s'inscrire au projet-pilote l'an dernier. On parle de trois poules pour cinq familles, avec un investissement partagé en temps et en argent.

« Mon garçon a pleuré quand la compagnie est venue reprendre les poules à l'automne, relate-t-elle. Dans notre cas, chaque famille avait sa semaine attitrée pour en prendre soin et bénéficier des oeufs. Être plusieurs permet de pouvoir s'absenter pour les vacances. En termes de temps, on parle d'une quinzaine de minutes par jour, pour ramasser les fientes, donner de l'eau, de la moulée, et les laisser se promener dans la cour. »

QUATRE PLAINTES

À l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie, on rappelle qu'une cinquantaine de familles peuvent s'inscrire au projet-pilote. Néanmoins, seulement neuf familles se sont lancées dans l'aventure l'été dernier. De ce nombre, sept se sont débarrassées de leurs poules à la fin de l'été, et deux ont décidé de les garder, explique Marie-Claude Perreault, chargée de communication de l'arrondissement.

En ce qui concerne les plaintes, l'arrondissement en a dénombré seulement quatre à ce jour. À part une évasion de poules, trois plaintes enregistrées concernaient le non-respect des limites du terrain ou le trop grand nombre de poules. « On va attendre la fin du projet-pilote pour comptabiliser », a précisé Mme Perreault.

À Montréal, les résidants de l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve ont le droit d'avoir des poules, mais elles doivent être gardées dans l'un ou l'autre des huit jardins communautaires. Ailleurs au Québec, les villes et municipalités sont de plus en plus nombreuses à changer la réglementation permettant d'adopter des poules.

À Laval, on explique que la réglementation est à l'étude. Pour l'instant, les poules sont permises dans les zones agricoles, et elles sont tolérées dans certains cas. La responsable des affaires publiques de la Ville, Sarah Bensadoun, précise que la révision du règlement d'urbanisme ne sera pas terminée avant trois ans.

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127 POULES CAPTURÉES EN TROIS SEMAINES À MIAMI

L'escouade de Miami « Chicken Buster » patrouille sans relâche dans les quartiers où les poules sont populaires depuis six ans. Joint par La Presse, Garry Lafaille, qui dirige les équipes municipales dans la Petite Haïti, affirme que 127 poules et coqs ont été capturés par son service au cours des trois dernières semaines. « En général, nous menons une patrouille par semaine, parfois deux. [...] Notre mission consiste à répondre aux plaintes des citoyens dont la qualité de vie est touchée par la nuisance. Nous comprenons les différences culturelles, et nous essayons de notre mieux d'aider et d'éduquer. »

BAISSE DE POPULARITÉ À PORTLAND

Après un engouement sans précédent pour les poules, la tendance est à la baisse dans la région de Portland, la plus grande ville de l'Oregon, aux États-Unis. « C'est difficile de donner un chiffre précis, puisqu'il n'est pas nécessaire de détenir un permis pour trois poules ou moins. Cependant, j'ai remarqué que les poules sont de moins en moins nombreuses à piailler dans les jardins privés. J'imagine que les gens se rendent compte du temps et de l'argent que ça prend », a expliqué à La Presse Steve Cohen, directeur des politiques et programmes en matière d'alimentation pour la Ville de Portland. M. Cohen travaille depuis plus de 40 ans dans le domaine de l'agriculture urbaine. Le problème majeur avec les poules, estime-t-il, c'est qu'elles attirent les rats. « Les rats se nourrissent de leurs fientes. Il est donc facile de comprendre les soucis sanitaires de la municipalité. »