Les inspecteurs de la Ville de Montréal ont reçu le mandat de surveiller les dates de péremption sur les aliments. Ils cherchent parfois des preuves jusque dans les poubelles.

La fraude alimentaire est difficile à démasquer, mais c'est un phénomène de plus en plus connu. L'année dernière, sept commerces de Montréal ont été reconnus coupables de tromperie. 

La Charcuterie Noël a dû payer deux amendes, de 1250 $ et 1500 $, pour avoir modifié des dates sur son poulet de grain et vendu du haut de surlonge qui était en fait une autre partie de viande. Les inspecteurs avaient été mis sur la piste de la supercherie par une plainte, visiblement de quelqu'un qui connaissait bien l'établissement. 

Les cas de fraude alimentaire sont souvent mis au jour par des dénonciations. Et ce sont souvent des employés qui déposent une plainte au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) ou à la Ville, ou des compétiteurs. La division de l'inspection ne peut révéler l'identité des plaignants, pour des raisons de confidentialité évidentes. 

À la Charcuterie Noël, l'inspecteur de la Ville a demandé des preuves d'achat au commerçant qui n'a pu prouver que le type de viande annoncé avait bel et bien été acheté au moment de la vente, explique Myrta Mantzavrakos, chef de la division de l'inspection des aliments à la Ville de Montréal. Ces deux cas ont été mis au jour lors d'une inspection à l'automne 2015. L'histoire s'est conclue deux ans plus tard, un délai typique pour ce genre de délits.

Tout cela appartient au passé, assure Robert Natale, joint dans le commerce familial de Montréal-Nord. « Nous collaborons avec les inspecteurs », assure le propriétaire de la Charcuterie Noël, qui vise maintenant une note parfaite aux inspections municipales. M. Natale précise par ailleurs que dans le cas du haut de surlonge, c'est tout simplement une erreur de classification qui a mené à la condamnation.

MÊME ALIMENT, DEUX DATES

Partout au Québec, ce sont des inspecteurs du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation qui s'assurent de la salubrité et de l'authenticité des aliments vendus en épicerie et dans les restaurants. À Montréal, ce pouvoir a été délégué à des inspecteurs municipaux. Mais le MAPAQ a demandé à la Ville d'avoir à l'oeil les cas de fraude alimentaire, particulièrement les cas de réemballage de produits expirés, après que le phénomène eut été médiatisé. 

« Le MAPAQ nous a demandé de faire une enquête ciblée », explique Myrta Mantzavrakos. Ce n'est donc pas un hasard si la majorité des commerces condamnés pour tromperie en 2017 avaient changé la date de péremption sur des emballages, ce qui permet de conserver plus longtemps les aliments en magasin.

Les inspecteurs doivent parfois fouiller dans les poubelles afin de démasquer des réemballages. C'est souvent là que se trouvent les preuves.

« [Les inspecteurs] doivent arriver très tôt le matin, à l'ouverture, et passer par la porte arrière. C'est à ce moment que le boucher fait la tournée et change les dates des étiquettes », dit Myrta Mantzavrakos.

La loi interdit le changement de date. Cela ne veut toutefois pas dire que les produits qui approchent leur date de péremption doivent être mis à la poubelle. Ils peuvent être placés dans un présentoir pour vente rapide ou même utilisés en sandwich ou dans d'autres produits de consommation immédiate, indique Myrta Mantzavrakos. Mieux encore : « Les commerces devraient dès le départ afficher des dates réalistes », estime l'inspectrice en chef.

Dans tous les cas, la date doit respecter celle qui vient de l'usine de production de l'aliment, lorsqu'il n'a pas été fait sur place. Comme le fromage. À l'Euromarché Latina, c'est précisément le fromage qui changeait de date. Selon Myrta Mantzavrakos, le marché de Cartierville ajoutait plusieurs jours de durée de vie à ses fromages, et l'inspecteur a trouvé de nombreux cas de réemballage lors de sa visite au printemps 2016. Ce qui a valu une amende de 4000 $. 

L'épicerie, qui appartient au groupe Saltarelli, n'en était pas à sa première infraction. Le 10 janvier 2018, le même commerce a été condamné à verser 4500 $ supplémentaires, toujours pour tromperie, précise Myrta Mantzavrakos.

FROMAGES RÉEMBALLÉS

Le montant de la peine est déterminé par le procureur de la cour municipale, selon des barèmes établis par la faute et le dossier du contrevenant. Au Paradis du fromage, au marché Atwater, on a acheté des fromages très près de leur date de péremption. Le propriétaire avait eu la franchise d'expliquer à l'inspecteur sur place que ces lots coûtaient moins cher. Les fromages avaient ensuite été réemballés, afin de prolonger la vie du fromage, parfois de plusieurs semaines, à l'insu de la clientèle de l'établissement. 

« On a fait une erreur et on a complètement changé notre façon de faire depuis », rapporte Amro Gala, propriétaire d'Au Paradis du fromage.

L'événement s'est produit en 2015, mais la fromagerie a été condamnée à verser une amende de 1500 $ l'année dernière. Le commerce n'a pas d'antécédents.

Dans certains cas, le commerçant peut s'en tirer uniquement avec un avertissement, mais risque d'avoir des visites d'inspection plus fréquentes par la suite.

L'année dernière, les inspecteurs montréalais ont donné 136 avertissements à des commerçants, contre 8 poursuites dans des cas de fraude alimentaire.

Les aliments qui sont mis en cause, mais qui sont toujours sains, sont, dans le meilleur des cas, recyclés. Myrta Mantzavrakos relate le cas de sirop de poteau qui se faisait passer pour du sirop d'érable et qui a été remis à une banque alimentaire.

En plus de vérifier les dates sur les aliments, les inspecteurs veillent à l'authenticité des ingrédients. L'utilisation trompeuse de l'appellation biologique, de thon rouge ou de sirop d'érable est souvent un motif de fraude.

Au restaurant Sushi-ya, qui se trouve dans le marché Bonsecours, dans le Vieux-Montréal, on servait des sushis au tilapia plutôt que d'utiliser le poisson annoncé, du rouget. Les inspecteurs ont toutefois trouvé de véritables excréments de rongeurs lors de leur visite, assez pour forcer la fermeture du restaurant, le temps de permettre aux propriétaires de faire un grand ménage.

Que dit la loi?

Est prohibée toute tromperie ou tentative de tromperie, toute déclaration ou indication fausse, inexacte ou trompeuse, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit :

• sur la nature, l'état, la composition, l'identité, la provenance, l'origine, l'utilisation, la destination, la qualité, la quantité, la valeur, le prix ou une particularité du produit

• sur le lieu, la date ou les procédés de préparation, fabrication, conservation ou conditionnement du produit

• sur le mode d'emploi ou de conservation du produit

• sur l'identité, les qualités ou aptitudes du producteur, préparateur, fabricant, conserveur, conditionneur, distributeur ou de l'agent de vente ou de livraison du produit.

Plusieurs commerces mis à l'amende en 2017

Sept exemples de commerces alimentaires qui ont été pris la main dans le sac par les inspecteurs de la Ville de Montréal l'an dernier

Euromarché Latina-Épicerie Saltarelli et fils

• 11847, boulevard Laurentien

• Date de l'infraction : 14 mars 2016 

• Condamné le 10 mai 2017 

• Amende : 4000 $ 

• Motif : changement de date sur des paquets de fromages

• Antécédents : le commerce a dû payer en septembre 2016 une amende de 3000 $ pour un cas de tromperie qui datait de 2015, ainsi que deux amendes, en 2016 et 2017, pour avoir vendu des produits impropres ou dont l'innocuité n'était pas assurée. Total des amendes en 2016 et 2017 : 9750 $.

Les Volailles du marché

• Marché Jean-Talon - 7070, avenue Henri-Julien 

• Date de l'infraction : 29 novembre 2016 

• Condamné le 19 décembre 2017

• Amende : 2500 $ 

• Motif : changement de date sur des paquets de viande fraîche

• Antécédents : le même commerce a reçu une amende de 1250 $ en 2015, aussi pour un cas de tromperie. Il a également été mis à l'amende l'année dernière pour un problème de température des aliments et d'employé qui ne portait pas son filet pour un total de 4250 $ en amendes en 2017.

Charcuterie Noël 

• 5733, boulevard Léger 

• Date de l'infraction : 7 octobre 2015 

• Condamné le 13 novembre 2017

• Amendes : 1250 $ et 1500 $

• Motif : présentation trompeuse de la viande

• Antécédents : le commerce a également reçu une amende de 250 $ l'année dernière pour un produit qui n'était pas tenu à la bonne température.

Intermarché Lagoria 

• 8725, boulevard Viau 

• Date de l'infraction : 27 juin 2016

• Condamné le 26 mai 2017 

• Motif : changements de date sur des saucisses et viandes fraîches

• Amende : 1000 $ 

• Antécédents : aucun

Bouchers Capitol 

• Marché Jean-Talon - 158, place du Marché-du-Nord

• Date de l'infraction : 19 octobre 2015 

• Jugement le 9 janvier 2017 

• Amende : 1750 $ 

• Motif : changement de date sur des paquets de viande fraîche

• Antécédents : la boucherie a aussi été reconnue coupable de tromperie en 2015, pour une infraction trouvée l'année précédente. De plus, le commerce a dû payer en 2017 et 2016 des amendes totalisant 2650 $ pour avoir vendu des produits impropres ou dont l'innocuité n'était pas assurée.

Au Paradis du fromage

• Marché Atwater - 116, avenue Atwater

• Date de l'infraction : 10 novembre 2015 

• Jugement le 20 janvier 2017

• Amende : 1500 $ 

• Motif : changement de date

• Antécédents : aucun

Sushi-ya 

• 350, rue Saint-Paul Est 

• Date de l'infraction : 5 août 2015

• Condamné le 11 septembre 2017

• Amende : 600 $ 

• Antécédents : le restaurant a dû payer deux amendes pour présence de contaminants, d'insectes ou de rongeurs, ou de leurs excréments. Les faits remontent à 2015 et 2016.