Alors que six maisons de type « shoebox » sont menacées par le pic des démolisseurs dans Rosemont, Héritage Montréal demandera aujourd'hui un moratoire municipal sur la destruction de ces petites maisons ouvrières typiquement montréalaises, a appris La Presse.

L'organisme doit rencontrer la responsable du patrimoine de l'administration au cours de la journée et formulera cette demande.

Quelques heures plus tard, ce soir, un comité de l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie déterminera le sort de quatre nouvelles maisons « shoebox » visées par des demandes de démolition. Deux autres maisons ont déjà reçu leur arrêt de mort après une réunion semblable survenue à la mi-décembre.

Les « boîtes à chaussures » sont de minuscules maisons bâties notamment au début du XXe siècle alors que des quartiers comme Rosemont se développaient rapidement et que des ouvriers aux moyens modestes s'y installaient. Elles ont souvent été construites avec des matériaux de fortune et sont flanquées de duplex ou de triplex.

On n'en connaît pas le nombre exact à Montréal.

« Ces maisons sont très significatives, car elles sont le premier accès à la propriété de Montréal pour les classes populaires », a indiqué David Hanna, professeur au département d'études urbaines de l'Université du Québec à Montréal, à La Presse en 2014.

NOUVEAUX PROJETS

Or, ces petites maisons occupent des terrains à présent très convoités dans des quartiers populaires auprès des jeunes familles. Plusieurs y voient des occasions de remplacer ces « shoeboxes » par des immeubles de deux ou trois étages, en phase avec le reste de la rue.

La multiplication de ces projets inquiète Dinu Bumbaru, qui dirige Héritage Montréal.

« Si on n'a pas de moratoire, les démolitions vont s'accélérer et on va avoir un beau cadre réglementaire pour protéger une chose qui n'existera plus, parce que l'espèce sera disparue », dit-il.

« On ne demande pas un moratoire éternel », a précisé M. Bumbaru. L'expert du patrimoine aimerait voir des scientifiques se pencher sur ce patrimoine afin de faire « un survol rapide » de ce phénomène. « Dans le plan d'action sur le patrimoine, il y a des mesures qui peuvent servir à ça. Alors si on se donne le temps de les appliquer, ce sera aussi bien. »

Christine Gosselin est à la fois conseillère municipale pour le district Vieux-Rosemont et responsable du patrimoine au comité exécutif de Valérie Plante. C'est elle qui rencontrera demain Héritage Montréal.

Mme Gosselin a refusé la demande d'entrevue de La Presse. À la mi-décembre, au moment où la séance du comité de démolition a donné son feu vert pour deux maisons de ce type, elle évoquait sur Facebook ses inquiétudes.

« Ces deux exemples sont en mauvais état, mais il nous manque des outils réglementaires pour protéger au besoin ceux qu'on gagnerait à sauver », a-t-elle écrit. « Ça prendrait un minimum d'intérêt citoyen sur la question. » Les séances de ce comité sont publiques.

POUR « FAIRE VIVRE DES FAMILLES DANS LE QUARTIER »

La Presse a pu joindre certains des propriétaires qui ont fait des demandes de démolition pour leur « shoebox » : ils font valoir que ces maisons sont trop petites pour qu'on y élève une famille.

Annie Éthier et son frère Patrice ont fait leur acquisition sur la 12e Avenue, dans Rosemont, il y a un peu plus d'un an : ils voudraient détruire la maison pour y construire un duplex et y installer leurs deux familles.

« Dans notre cas, c'est une bâtisse qui est en très, très piètre état. Elle n'a pas été entretenue depuis les années 70 », a affirmé M. Éthier, précisant que la résidence était inoccupée depuis huit ans.

« On a des enfants qui ont trois mois de différence : les deux sont comme frère et soeur. On voulait habiter dans le même immeuble et faire une chambre pour mes parents pour qu'ils puissent venir », a-t-il expliqué.

L'architecte Yves Legris, lui, ne compte pas habiter dans le duplex qui remplacerait la « shoebox » qu'il a récemment achetée avec des partenaires d'affaires sur la 3e Avenue. Il compte revendre l'immeuble.

« Je suis pour le patrimoine, mais en même temps, des fois, ces bâtiments sont en très, très mauvais état - c'est le cas de notre projet à nous. Dans ces cas, on peut se permettre de passer à autre chose et de densifier le quartier », a-t-il dit. L'architecte indique avoir un rapport d'ingénieur qui remet en question l'intégrité de la structure de la maison. « À la limite, ça pourrait être dangereux », a-t-il dit.

« Le but, c'est de faire vivre des familles dans le quartier », a assuré M. Legris.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Un comité de l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie déterminera ce soir le sort de cette maison visée par une demande de démolition.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Selon l'architecte Yves Legris, ces maisonnettes sont parfois « en très, très mauvais état ».