Sonné par la victoire sans équivoque de Valérie Plante, Denis Coderre accepte la défaite, prend le blâme pour l'échec de nombreux ténors de son parti et quitte la vie politique municipale. Il ne sera pas le chef de l'opposition, comme le lui avait demandé sa rivale lors d'un des débats au cours de la campagne.

« J'aimerais vous dire que je quitte la vie politique municipale. Donc je ne prendrai pas le poste de ma collègue et amie Chantal Rossi comme colistière », a-t-il annoncé à ses supporters réunis à l'Olympia dimanche soir, entouré d'une poignée seulement de ses 102 candidats, parmi lesquels figuraient quelques absents notoires, Richard Bergeron, Anie Samson et Russell Copeman, entre autres.

En politique montréalaise, le colistier est un candidat à un poste de conseiller appelé à céder sa place à son chef advenant sa défaite à la mairie de la ville.

Morne soirée

C'était pour les militants la seconde douche froide de la soirée.

L'annonce de l'élection de la première mairesse de Montréal, assez tôt en soirée, avait fait taire une assistance déjà inquiète de la tendance qui se dessinait. Même la musique d'ambiance de la salle s'est arrêtée pour ne faire place qu'à des murmures hébétés.

Le bagarreur politicien de Montréal-Nord n'est pas habitué à la défaite, qu'il n'a pas subie depuis sa première élection comme député fédéral de Bourassa en 1997. Désigné comme favori, et par beaucoup, en début de campagne, il n'a pu résister à la montée fulgurante de Valérie Plante, qu'il a bien tenté de freiner en qualifiant d'irréalistes toutes ses promesses.

« Je veux souhaiter bonne chance à la 45e mairesse Valérie Plante. Elle a fait une belle campagne. Je la félicite. Je lui ai parlé tantôt et je lui ai dit que nous allons faire une transition en bonne et due forme », a dit Coderre à ses supporters, qui se sont alors animés pour la première fois de la soirée.

Il prévoit prendre quelques jours de recul pour encaisser le coup.

« Mercredi, je ferai une conférence de presse. J'espère qu'on va parler d'autre chose que de voiture électrique », a-t-il dit.

Il a dit partir la tête haute, après avoir pris des décisions difficiles mais nécessaires, auxquelles il semble attribuer en partie sa défaite.

« C'est sûr que quand on prend des décisions difficiles, sur des questions de santé publique, de sécurité publique, d'environnement, qu'on dit qu'on ne peut pas faire du développement économique aux dépens de la cohésion sociale, ça ne fait pas l'unanimité », a admis le maire avant d'enchaîner.

« Ils font le bonheur des caricaturistes, mais ces cônes orange, c'était le début de la transformation du Montréal de demain. »

Responsabilité pour la défaite

Il s'est ensuite adressé à ses candidats défaits.

« Je suis désolé pour ceux qui ont perdu, j'en prends l'entière responsabilité. »

Le président du comité exécutif sortant, Pierre Desrochers, qui ne s'était pas représenté à cette élection, ne voit pas dans l'absence de quelques ténors du parti qui ont perdu leur siège, les Bergeron, Copeman et Samson, aux côtés de leur chef le signe d'une grogne interne.

« Il y en a qui sont déçus. Certains plus déçus que d'autres. Mais ce n'est pas en réaction à la façon dont la campagne a été menée », croit-il.

Il attribue la défaite à une série de facteurs.

« Il y a une série de choses. On pense qu'on a fait une bonne campagne. Mais on a beaucoup parlé de notre bilan. On n'a peut-être pas assez appuyé sur les promesses contenues dans notre plateforme », analyse l'ancien élu.

Pendant la campagne, il a dit craindre que les promesses de Projet Montréal ne plongent Montréal dans un gouffre financier. Il félicite Valérie Plante pour sa victoire mais maintient ses inquiétudes.

« Ils ont fait des promesses qu'ils ne seront pas capables de livrer. Outre la ligne rose, les 12 000 logements sociaux, ça va mettre la Ville en difficulté. Les 40 % de logement social et abordable imposés dans les projets domiciliaires, ça va faire fuir les développeurs », craint-il, disant espérer que Projet Montréal ne « brise pas l'élan » de Montréal.

Élus déçus

« Ce n'est pas le plus beau jour de ma vie ! », a lancé Réal Ménard, maire défait de l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve et ténor de l'administration Coderre.

« J'ai eu la chance de servir les gens de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve [il a auparavant été député du Bloc québécois]. On a pris des décisions difficiles. On a ouvert des chantiers difficiles. On gagne et on perd en équipe. Mais M. Coderre laisse un héritage important à Montréal », a-t-il déclaré.

« Le maire a pris des décisions audacieuses, de grands chantiers de construction ont été menés, ils ont peut-être causé du mécontentement. Mais il a fait des choses importantes. C'est triste, on perd notre chef », analyse Christine Black, mairesse réélue de Montréal-Nord, où habite Denis Coderre.

« On a travaillé très fort. Dans les quatre dernières années, on a tellement transformé Montréal et les arrondissements grâce à l'administration Coderre ! J'ai été fonctionnaire municipal 25 ans. Conseiller. Maire d'arrondissement. Je n'ai jamais, dans ma vie politique, vu une telle croissance à Montréal. Je n'ai aucune explication pour expliquer ce qui se passe », a quant à lui commenté le maire réélu de l'arrondissement de Pierrefonds-Roxboro et membre sortant du comité exécutif, Jim Beis.

« Prendre ça personnel »

Un bon ami de Denis Coderre et vieux routier de la politique était aussi discrètement présent dans la salle. Pierre Bélanger a été ministre péquiste dans les années 90. Il a connu la défaite. Et aussi la victoire avec Denis Coderre, dont il dirigeait la campagne en 2013.

« C'est la démocratie. C'est dur, la politique. De plus en plus, les lunes de miel sont courtes et les attentes des électeurs, très élevées. La défaite, c'est toujours difficile de ne pas prendre ça personnel », a-t-il expliqué.

Denis Coderre en quelques dates

1963: Naissance à Joliette

1973: Sa famille déménage à Montréal-Nord où il réside encore aujourd'hui. C'est à Montréal-Nord qu'il fera ses études secondaires et collégiales, avant d'obtenir un baccalauréat en science politique à l'Université de Montréal et une maîtrise en administration des affaires à l'Université d'Ottawa. Il est marié et père de deux enfants, un garçon et une fille.

1997: Il est élu député libéral fédéral de la circonscription de Bourassa, dont fait partie Montréal-Nord, à sa quatrième tentative en tant que candidat. Il avait tenté sa chance auparavant dans Joliette et dans Laurier-Sainte-Marie, où il avait été battu par Gilles Duceppe. Il a été député fédéral pendant 16 années consécutives et a occupé les postes de secrétaire d'État au sport, de président du Conseil privé et de ministre de l'Immigration. Dans ces fonctions, il a participé à l'établissement du siège social de l'Agence mondiale antidopage à Montréal et à l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

2002: L'intégrité de Denis Coderre est remise en question pour une première fois alors qu'on apprend qu'il a séjourné en 1997, sans frais et pendant plusieurs jours, dans la résidence du publicitaire Claude Boulay, président du Groupe Everest. Le Groupe Everest a obtenu un plus grand nombre de contrats de commandite et de publicité durant l'année ayant suivi l'arrivée de M. Coderre au cabinet. Mais Denis Coderre nie tout lien entre les deux situations et mentionne que Boulay est un de ses «amis» de longue date et qu'il lui a prêté son condo à une époque où il vivait des difficultés personnelles. Dans la foulée de ces révélations, M. Coderre a été évincé du Conseil des ministres. Il a témoigné devant la commission Gomery sur le scandale des commandites, qui ne l'a pas blâmé.

2007: Député de l'opposition et porte-parole en matière de défense, il se rend à ses frais visiter les troupes canadiennes postées en Afghanistan. Le Parti libéral du Canada demandait alors la fin de la mission de combat des soldats canadiens dans ce pays.

2009: Le chef libéral Michael Ignatieff fait de Denis Coderre son lieutenant politique au Québec, fonction qu'il avait refusé d'occuper sous la direction du précédent chef, Stéphane Dion.

2013: Après s'être longuement laissé désirer, Denis Coderre forme le parti Équipe Coderre et se lance dans la course à la mairie de Montréal, qu'il remporte au terme d'une lutte à quatre candidats.

2015: Denis Coderre devient président de l'Association mondiale des grandes métropoles, aussi appelée Metropolis.

Onze jalons de l'ère Coderre

Alors que l'on taxait ses prédécesseurs d'apathie, la personnalité bouillante du maire Denis Coderre l'a amené à prendre des décisions marquantes tout au long de ses quatre années à l'hôtel de ville. Retour sur son mandat en 11 jalons.

NOMINATION DU BIG

Denis Coderre arrive à l'hôtel de ville en 2013 après la démission de Gérald Tremblay sur fond de scandales éthiques et l'arrestation de son remplaçant Michael Applebaum. Après avoir vanté son « filtre Coderre » pendant la campagne électorale, il crée rapidement le Bureau de l'inspecteur général en entrant en poste, puis débauche Denis Gallant de la commission Charbonneau pour l'occuper. Depuis, ce dernier jouit des pleins pouvoirs pour s'assurer que les attributions de contrats publics ne seront pas entachées d'irrégularités.

SACCAGE DE L'HÔTEL DE VILLE

Les cris retentissent, les documents s'envolent et le maire observe la scène, visiblement furieux. Une centaine de pompiers pensaient faire un coup d'éclat payant en envahissant l'hôtel de ville en pleine séance du conseil municipal, en août 2014, mais l'événement se retournera finalement contre eux. Après la transformation de congédiements en suspensions disciplinaires, l'Association des pompiers de Montréal acceptera finalement de payer 253 000 $ en dédommagement, sans compter un coût politique extrêmement lourd.

RECRUTEMENT DE RICHARD BERGERON

Mi-novembre 2014, Richard Bergeron quitte mystérieusement la tête de Projet Montréal, parti qu'il a lui-même créé, ainsi que le poste de chef de l'opposition à l'hôtel de ville. On apprend rapidement que c'est pour siéger au comité exécutif de Denis Coderre, transfert qu'il effectue « dans l'intérêt supérieur de Montréal ». Denis Coderre guillotine du même coup sa principale opposition. Deux ans plus tard, M. Bergeron boucle la boucle en se joignant officiellement à la formation politique du maire.

VIVRE-ENSEMBLE

En juin 2015, alors que les attentats islamistes s'inscrivent de plus en plus régulièrement dans les manchettes internationales, le maire de Montréal convoque ses homologues d'autres grandes villes de la planète afin de discuter du vivre-ensemble : intégration et lutte contre la radicalisation sont au menu. Surtout, il veut faire émerger les villes comme réels gouvernements de proximité capables de s'attaquer à de grands problèmes de société plutôt que de se limiter à assurer les services de base.

« FLUSHGATE »

Fin octobre 2015, la Ville doit laisser s'échapper environ huit milliards de litres d'eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent, le temps de réaliser des travaux sur une gigantesque canalisation qui les achemineraient normalement vers une usine d'épuration. L'opposition municipale et les politiciens fédéraux s'insurgent. Montréal fait la manchette partout sur la planète pendant quelques jours. Denis Coderre répète que la Ville n'a pas le choix et pousse l'audace jusqu'à descendre dans les canalisations revêtu d'un uniforme qui fait couler beaucoup d'encre.

PAS D'OLÉODUC

En janvier 2016, Denis Coderre annonce une décision qui le transformera en paria politique dans les Prairies : il s'opposera de toutes ses forces au projet d'oléoduc Énergie Est au nom de la sécurité des Montréalais. « Le projet présenté par TransCanada comporte trop de risques environnementaux pour le Grand Montréal », écrit-il dans une lettre ouverte. Le débat devient rapidement national. Le premier ministre saskatchewanais Brad Wall demande aux maires de l'agglomération de « rendre leurs 10 milliards reçus de la péréquation ». Le projet a finalement été abandonné cet automne.

UN ÉTÉ SANS CALÈCHES ?

Après une série de vidéos virales montrant des accidents impliquant des chevaux dans les rues de Montréal, Denis Coderre empoigne les rênes de sa ville et annonce en mai 2016 un moratoire d'un an sur la circulation des calèches touristiques. Stupéfaction chez les cochers, qui voient leur industrie temporairement interdite. Un tribunal infirmera aussitôt la décision. Un second revers pour le maire devant la justice, après qu'un juge eut aussi mis un frein à son projet-pilote de bars ouverts jusqu'à 6 h.

BANNISSEMENT DES PITBULLS

Le 8 juin 2016, Christiane Vadnais est tuée dans sa cour arrière de Pointe-aux-Trembles par le chien d'un voisin laissé sans surveillance. La police a dû abattre un chien ressemblant à un pitbull pour atteindre la victime. Dans les jours suivants, le maire Coderre annonce sa volonté d'interdire cette race sur le territoire de la ville. Après une défaite devant les tribunaux, le règlement anti-pitbull est finalement élargi.

FORMULE E

Denis Coderre ne pouvait se douter, en lançant l'idée d'accueillir une course de Formule électrique à Montréal, que cet événement allait prendre une place aussi centrale dans la campagne électorale qui suivrait. Rapidement critiquée pour son parcours urbain qui forçait la fermeture de nombreuses rues du centre-ville pendant une partie de l'été, la course s'est transformée en cauchemar politique à mesure que s'accroissait la pression pour révéler le nombre de billets vendus et donnés. Ces informations, qui remettaient en question le bilan positif de l'événement tracé par M. Coderre, ont finalement été révélées quatre jours avant le scrutin.

RUÉE VERS LA FRONTIÈRE

Août 2017. Effrayés par la possibilité d'être renvoyés vers leur pays d'origine sur une simple décision du gouvernement Trump, des centaines d'Haïtiens installés aux États-Unis affluent vers la frontière canadienne pour trouver un nouveau refuge. Denis Coderre est alors à l'avant-garde de l'accueil, ouvrant les portes de Montréal à près de 3000 candidats au statut de réfugié. « Je ne m'excuserai jamais d'être accueillant pour ceux qui sont dans le désarroi », faisait-il valoir.

MONTRÉAL, MÉTROPOLE

En septembre dernier, Denis Coderre a terminé son mandat en fêtant l'adoption par Québec d'une nouvelle Loi sur la métropole, qui accorde à Montréal de nombreux nouveaux pouvoirs à l'hôtel de ville. Il pourra notamment accorder des crédits de taxe, prendre des décisions en matière de logement social ou encore fixer les heures d'ouverture des commerces sur son territoire. Surtout, pour le maire Coderre, il s'agit de la fin de l'époque où les villes étaient considérées comme les « créatures » du gouvernement provincial.

- Philippe Teisceira-Lessard, La Presse