Les propositions des deux principaux partis politiques municipaux de Montréal pour limiter la circulation des camions dans les rues de la ville créeraient une pression à la hausse sur le coût des produits, selon plusieurs acteurs influents de l'industrie du transport. Certaines de ces propositions pourraient aussi nuire à la compétitivité des commerces et provoquer une dégradation des conditions de travail des camionneurs.

La mort récente de plusieurs piétons et cyclistes dans des accidents impliquant des camions et une congestion routière devenue « cauchemardesque » incitent les élus à « revoir les routes de camionnage », à « moduler les heures de livraison des camions au centre-ville » ou à envisager la création de centres de distribution urbaine (CDU). Ces centres serviraient de points de chute aux plus gros camions, qui y déposeraient leurs cargaisons, qui seraient ensuite livrées aux portes des commerces et des industries par des véhicules de plus petits gabarits, ou même à vélo, pour limiter au maximum la circulation des poids lourds.

Ces concepts de logistique urbaine, qui fonctionnent déjà dans plusieurs grandes villes européennes, figurent au programme des deux principaux partis qui briguent la mairie de Montréal. Ils sont proposés en appui à une politique de sécurité routière qui ne vise rien de moins qu'un objectif « zéro accident » que partagent Projet Montréal et Équipe Denis Coderre.

DES EFFETS PERVERS

Cette unanimité des programmes politiques en faveur d'une limitation des heures de circulation des poids lourds, au nom de la sécurité routière, irrite profondément l'industrie du transport. Le PDG de l'Association du camionnage du Québec (ACQ), Marc Cadieux, craint qu'on ne force les entreprises à livrer des marchandises uniquement en soirée ou durant la nuit, sans tenir compte des ajustements que cela imposerait à l'ensemble de la chaîne logistique.

« Toutes les avenues proposées ont des coûts, dit Marc Cadieux. Si on ne peut pas livrer en périodes de pointe, où vont se stationner les camions qui arrivent de l'extérieur de la ville en attendant d'avoir le droit de circuler ? Livrer le soir, c'est bien beau, mais il faut qu'il y ait du personnel pour recevoir les marchandises dans les commerces, les entreprises. »

Photo Patrick Sanfaçon, Archives La Presse

La mort récente de plusieurs piétons et cyclistes dans des accidents impliquant des camions a incité les élus à promettre de « revoir les routes de camionnage », de « moduler les heures de livraison des camions au centre-ville » ou d'envisager la création de centres de distribution urbaine (CDU).

Quant au concept des CDU, le directeur des relations gouvernementales au Conseil canadien du commerce de détail, Jean-Luc Benoît, partage les préoccupations de l'ACQ sur l'augmentation probable des coûts de transport.

« On ajouterait un intermédiaire à la circulation des marchandises, dit M. Benoît. Cela implique plus de personnel, plus d'équipements, plus de manutention et, possiblement, plus de temps pour acheminer des denrées et marchandises aux commerçants. C'est clair qu'il y aura des répercussions pour nous au niveau logistique et, ultimement, au niveau des prix à la consommation. »

UN « GRAND CENTRE-VILLE » SANS CAMIONS

En entrevue à La Presse, le responsable du transport de l'administration sortante du maire Coderre, Aref Salem, n'en est pas moins formel : « Il y a un changement qui s'en vient et qui pourrait bousculer des habitudes. »

Les services municipaux, affirme-t-il, travaillent déjà à évaluer une « modulation » des heures des livraisons commerciales qui interdirait la circulation des camions le jour et les soirs de magasinage dans le « grand centre-ville ». Bien que le périmètre désigné ne soit pas encore définitif, précise M. Salem, il pourrait s'étendre de la rue Sherbrooke jusqu'au fleuve Saint-Laurent, et de l'avenue Atwater jusqu'à l'avenue Papineau.

Dans ce secteur, les camions devraient livrer les marchandises et denrées au petit matin avant que les rues s'animent, ou encore en soirée, lorsqu'une majorité de piétons, de cyclistes et de travailleurs sont rentrés chez eux, pour limiter la cohabitation entre les camions et « les usagers les plus vulnérables », indique M. Salem.

Le conseiller de la Ville du district de Saint-Henri-Petite-Bourgogne, Craig Sauvé, qui est le porte-parole de Projet Montréal en matière de transport, tient pour l'essentiel le même langage.

« Mais nous n'agirons pas en dictateurs, assure-t-il. L'industrie du camionnage vit des réalités économiques bien à elle, et il faudra en tenir compte. La première chose à faire, c'est de concevoir un plan cohérent pour la livraison des marchandises. L'administration actuelle n'a pas fait ses devoirs depuis quatre ans. Une ville doit s'assurer à la fois de la sécurité et de l'efficacité des déplacements. »

« La ville intelligente, ajoute-t-il, ce n'est pas juste des applications. C'est une ville où tout le monde se déplace sans avoir peur d'être frappé ou tué, et où les choses fonctionnent de façon ordonnée et efficace. On n'est pas rendus là. »

« BOUCS ÉMISSAIRES »

Au syndicat des Teamsters, qui représente 5500 camionneurs au Québec, surtout en milieu urbain, le directeur des communications, Stéphane Lacroix, affirme que la livraison de marchandises dans la métropole est déjà un cauchemar en raison de la congestion routière. La limitation des heures de circulation rendrait la situation des camionneurs « infernale » en imposant des quarts de travail fragmentés, qui étireraient leurs journées de travail sur 12 à 15 heures par jour.

« Tout le monde reconnaît qu'il y a des problèmes de sécurité routière à Montréal et qu'il faut améliorer la cohabitation avec les usagers vulnérables, dit M. Lacroix. Mais on est en train de faire des camions des boucs émissaires du bilan routier. En ce moment, il y a un sentiment de colère chez les camionneurs. »

Selon lui, la moyenne des camionneurs gagne de 40 000 $ à 45 000 $ par année, et fait des semaines pouvant aller jusqu'à 60 heures qui équivalent à un salaire de 13,33 $ à 15 $ l'heure. « Une détérioration de leurs conditions de travail ne ferait qu'encourager les camionneurs à aller voir ailleurs, dans une industrie qui est déjà en pleine pénurie de main-d'oeuvre, affirme le porte-parole syndical. C'est toute l'industrie qu'on est en train de mettre en danger. »



LE CAMIONNAGE DANS LES PROGRAMMES DES PARTIS

Projet Montréal

1. Revoir les routes de camionnage

2. Améliorer la logistique des transports

3. Revoir les heures de livraison

4. Rendre obligatoires les dispositifs de sécurité (miroirs convexes, barres latérales, caméras, etc.)

5. Contribuer à mettre en place des centres de distribution urbaine (CDU)

6. Proposer des mesures financières et réglementaires pour garantir les avantages comparatifs des CDU

Équipe Denis Coderre

1. Mettre sur pied une stratégie visant à moduler les heures de livraison des camions au centre-ville

2. Prévoir un encadrement progressif des gabarits (taille) des camions

3. Privilégier l'accès pour les véhicules « propres »

4. Évaluer la possibilité de mettre en place un centre de distribution urbaine (CDU) avec véhicules électriques pour la livraison dans le « dernier kilomètre »