Alors que le projet de loi 62 a relancé le débat sur les signes religieux et les services publics, des établissements de santé montréalais veulent encadrer les pratiques d'un groupe de prêtres fonctionnaires qui offrent des soins spirituels aux patients en arborant le col romain, un symbole ecclésiastique devant lequel certains intervenants sont mal à l'aise.

Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l'Est-de-l'Île-de-Montréal a confirmé à La Presse avoir lancé récemment une réflexion pour se doter d'un «cadre de référence en soins spirituels». Parmi les sujets débattus : les signes religieux portés par certains prêtres employés dans les établissements liés au CIUSSS. La direction assure toutefois qu'elle n'a pas encore pris de décision à ce sujet.

«Bien que le port du col romain ait fait l'objet de discussions, jamais la direction du CIUSSS n'a fait la demande ou émis de consigne à ce propos», a affirmé la porte-parole Florence Meney dans un courriel.

«Les discussions se poursuivent», assure-t-elle.

Ouverture aux croyances



Au lieu des anciens aumôniers dépêchés par l'Église catholique, les établissements de santé d'aujourd'hui emploient des intervenants en soins spirituels professionnels qui sont formés en science des religions ou en théologie pour soutenir et accompagner la vie spirituelle et religieuse des patients et de leurs proches, peu importe leurs croyances. Ils peuvent par exemple noter au dossier médical et traduire pour les médecins certaines préoccupations spirituelles du patient. Certains intervenants sont accessoirement des prêtres au sein de l'Église, mais il y a longtemps que ce n'est plus le seul chemin pour devenir intervenant.

Le CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal emploie 17 intervenants en soins spirituels, dont 8 sont des religieux qui portent le col romain. Tous sont répartis entre les hôpitaux Maisonneuve-Rosemont et Santa Cabrini ainsi que dans les ressources d'hébergement.

Ces derniers mois, des membres du personnel ont fait valoir à la direction que, selon eux, le port du col romain ne cadrait pas tout à fait avec l'esprit du service qui devrait être offert.

Ils ont trouvé une oreille attentive du côté de l'Association des intervenants et intervenantes en soins spirituels du Québec, qui confirme s'être penchée sur la question. 

«Le col romain, c'est un symbole fort au Québec. Ce n'est pas un symbole religieux comme les autres, comme une kippa ou un voile, par exemple. C'est un symbole d'autorité religieuse», affirme Pierre Alexandre Richard, porte-parole de l'Association des intervenants et intervenantes en soins spirituels du Québec.

Le regroupement professionnel offre des stages en établissement pour les nouveaux intervenants, en lien avec des établissements scolaires. Toute sa formation est axée sur l'ouverture d'esprit et la capacité de remettre en question ses propres croyances pour se mettre à l'écoute du patient. Ses représentants craignent que des gens soient réticents à demander de l'accompagnement en matière d'aide médicale à mourir, d'avortement ou de questions liées à la communauté LGBT si un membre du personnel de l'établissement affiche un symbole d'autorité lié à l'Église, dont les positions tranchées sur certains de ces dossiers sont bien connues.

«Un prêtre peut très bien faire ce travail-là. Mais c'est l'affichage qui est incohérent avec la position de notre association, selon laquelle le travail doit être non confessionnel», croit Pierre Alexandre Richard.

Attachés à la tradition



Mais le retrait d'un symbole qui fait partie des traditions et de la culture de plusieurs patients ne se ferait pas sans heurts, notamment à l'hôpital Santa Cabrini, qui avait obtenu des garanties du gouvernement quant à la préservation de l'héritage culturel italien de l'établissement lors de son regroupement avec le CIUSSS.

«C'est un élément très important pour notre histoire et notre culture. Je ne vois pas pourquoi les aumôniers ne pourraient pas choisir leur signe distinctif. D'autant plus que pour les personnes âgées, celles issues de la communauté italienne seront très sensibles à cette question», affirme Michel Trozzo, président de la Corporation de l'hôpital Santa Cabrini, qui souligne qu'il s'exprime en son nom personnel parce que son organisation n'a pas encore pris position officiellement.

La Corporation a pour mission d'être «gardien des valeurs historiques, culturelles et linguistiques» de l'hôpital, étroitement lié à la communauté italienne et aux religieuses qui l'ont fondé.

«Hier encore à l'hôpital, j'ai rencontré des aumôniers avec le col romain, ça fait partie de notre histoire et de notre décor», affirme M. Trozzo.

«Mais nous sommes en démocratie et si on nous le demande, nous allons faire nos représentations à ce sujet. Nous avons une très bonne collaboration avec la direction», dit-il.

Frédéric Lalonde, président du comité des usagers de l'hôpital, abonde dans le même sens. Lui aussi dit parler en son nom personnel pour l'instant. «La communauté italienne, c'est quelque chose d'important pour elle, l'aspect des aumôniers de pratique chrétienne. L'aspect catholique au besoin, c'est une préoccupation», dit-il.

L'attachée de presse du ministre de la Santé Gaétan Barrette, Catherine W. Audet, affirme que «le ministère est en lien avec le CIUSSS et suit la situation de près», mais que pour l'instant, tout est en règle.

«Les services d'animation spirituelle de l'établissement sont non confessionnels et ils respectent la liberté et les convictions de chaque personne», dit-elle.