Quatre-vingt-huit : c'est le nombre de nouvelles intersections où des panneaux « Arrêt » auront été installés dans Rosemont-La Petite-Patrie d'ici la mi-novembre. Une décision prise par trois élus de l'arrondissement contre deux, en dépit de l'avis défavorable des ingénieurs en circulation de la Ville. Explications.

PRÈS DES ÉCOLES ET DES PARCS

Les nouveaux panneaux d'arrêt obligatoire, dont l'installation a débuté à la mi-septembre dans Rosemont-La Petite-Patrie, seront posés aux abords des écoles et des parcs du quartier. On les retrouvera, en majorité, dans les rues Bellechasse, Saint-Zotique, Beaubien et Bélanger, où la circulation est assez dense. « C'est une mesure qui va à l'encontre de la fluidité, reconnaît le maire de l'arrondissement, François Croteau. Je ne le nie pas. C'est sûr que ça va ralentir le trajet. Mais moi, si j'ai un choix à faire, je choisis la sécurité des enfants. » Un choix que salue l'organisme Piétons Québec : « Les panneaux d'arrêt sont des mesures d'apaisement de la circulation. Les automobilistes sont obligés de penser qu'au prochain coin de rue, un piéton pourrait vouloir traverser la rue », explique Félix Gravel.

FAUX SENTIMENT DE SÉCURITÉ ?

Pour leur part, les ingénieurs en circulation de la Ville ne voient pas cette mesure d'un bon oeil. Ils craignent que cela n'entrave la circulation et ne crée un faux sentiment de sécurité chez les piétons. « Nous ne leur avons pas demandé leur opinion personnelle sur l'installation ou pas de ces panneaux », admet le maire Croteau. Selon un document de 62 pages rédigé à l'intention des municipalités par le ministère des Transports, « les panneaux "Arrêt" sont trop souvent utilisés, à tort, pour faire ralentir les conducteurs. Si ces panneaux sont implantés à cette fin, la probabilité qu'ils ne soient pas respectés est élevée. Lorsque les conducteurs s'arrêtent, la réduction de la vitesse n'est observée qu'aux alentours immédiats du panneau, et, souvent, les conducteurs accélèrent et roulent plus vite entre les panneaux "Arrêt". »

PRIMAUTÉ DE LA VOITURE

Félix Gravel, de Piétons Québec, conteste cette façon de voir les choses.

« Les ingénieurs en circulation ne prennent pas assez en compte les déplacements à échelle humaine. C'est vrai pour les piétons. Mais c'est aussi vrai pour les cyclistes. »

« On observe un changement de culture chez les automobilistes, mais les ingénieurs, eux, sont encore attachés à de vieilles pratiques. Ils réfléchissent trop en fonction de la primauté de la voiture. Dire qu'on va laisser passer les voitures en premier, c'est dire que les piétons n'ont pas leur place. » M. Gravel croit par ailleurs que si les automobilistes respectaient davantage les passages piétons, l'ajout d'arrêts aux intersections serait moins nécessaire.

« LA FLUIDITÉ EST SÉVÈREMENT AFFECTÉE »

L'ajout de ces panneaux ne plaît pas à certains résidants du quartier. Bruno Côté, 29 ans, étudiant au doctorat en sciences de la vision à l'Université de Montréal, habite dans Rosemont depuis 2014. « J'utilise fréquemment la rue Saint-Zotique pour me déplacer d'est en ouest à l'heure de pointe du matin, dit-il. C'est une des rares rues où la circulation est fluide et où les vélos cohabitent très bien avec les voitures. Mais depuis que des panneaux d'arrêt ont été installés entre les différents feux de circulation, la fluidité est sévèrement affectée », constate-t-il.

63 PIÉTONS TUÉS EN 2016 AU QUÉBEC

Actuellement, seule la ville-centre peut autoriser l'installation de nouveaux feux de circulation. Mais elle n'a pas son mot à dire sur l'ajout de panneaux « Arrêt » dans les arrondissements. Rosemont-La Petite-Patrie peut en ajouter comme bon lui semble, sans avoir à demander la permission. Les 176 nouveaux arrêts, aux 88 intersections, s'ajouteront à trois autres mesures adoptées par les élus de l'arrondissement pour ralentir la circulation : limite de vitesse à 30 km/h dans les rues, dos d'âne et saillies de trottoir. Selon le dernier bilan routier de la Société de l'assurance automobile du Québec, 63 piétons ont perdu la vie en 2016 dans la province, une hausse de 40 % par rapport à 2015.

« Une intersection sur deux a été le lieu d'un accident entre un piéton et un automobiliste au cours des 10 dernières années dans Rosemont. »

- François Croteau, maire de l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie

PROJET-PILOTE DANS VILLERAY

Ce n'est pas qu'à Rosemont qu'on ajoute de nouveaux arrêts pour obliger les automobilistes à ralentir. On l'a aussi fait dans Villeray, au début de l'année. À la différence que, dans Villeray, il s'agit d'un projet pilote mené par des chercheurs de l'Université McGill. L'équipe qui a sélectionné les intersections où des panneaux ont été ajoutés va analyser pendant deux ans le comportement des gens, afin de voir si les arrêts toutes directions, aux quatre coins, peuvent être un outil de plus pour assurer la sécurité routière. Montréal a alloué 200 000 $ pour mener ce projet à terme. L'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie a refusé d'y participer. On trouve aussi des panneaux d'arrêt à toutes les intersections ou presque à Outremont et à Westmount. Et la Ville compte lancer d'autres projets pilotes, comme celui de Villeray, ailleurs à Montréal.