Après dix ans de planification, l'arrondissement de Pierrefonds-Roxboro a abandonné il y a un an à peine un projet pour protéger des eaux un quartier inondé au cours des derniers jours. Le maire Jim Beis explique que les riverains se sont opposés à l'idée de rehausser de près d'un mètre un boulevard passant devant leur résidence afin d'en faire une digue permanente.

La rivière des Prairies sortant fréquemment de son lit pour inonder les résidences du boulevard Lalande, Pierrefonds a entrepris en 2007 d'élaborer un projet pour contrer de façon permanente les crues printanières. L'arrondissement a ainsi chargé une firme de planifier le rehaussement d'un tronçon de 1 km de la route séparant le quartier du cours d'eau.

Le projet, déposé en décembre 2007, consistait à rehausser le boulevard Lalande de 16 à 86 cm, selon les sections, entre les rues Dollard et Rose. L'artère se serait ainsi trouvée 20 cm au-dessus de la ligne des inondations survenant une fois en 100 ans. Elle aurait du coup servi de digue lorsque les eaux de la rivière des Prairies montent soudainement au printemps. Deux autres tronçons du boulevard Lalande ont déjà été rehaussés à la suite des inondations de 1975, qui avaient durement touché le quartier.

MULTIPLES EMBÛCHES

Mais depuis sa conception, ce projet s'est heurté à de multiples embûches, qui ont fini par mener à son abandon. Pierrefonds a officiellement demandé à Montréal en mars 2008 de changer le plan d'aménagement de la métropole afin de lui permettre d'aller de l'avant avec les travaux. Le chantier étant en zone riveraine, le ministère de l'Environnement a toutefois demandé de nombreuses modifications, si bien que c'est seulement en 2013 que le feu vert a été reçu.

Christian Dubois, qui a été conseiller municipal du secteur de 2005 à 2013, explique que Québec s'est montré très strict et assure que l'arrondissement ne s'est pas traîné les pieds. Bien au contraire, puisqu'il avait même mis de côté 1 million pour financer les travaux.

Maintenant que ses voisins se trouvent à nouveau les deux pieds dans l'eau, Christian Dubois juge les délais imposés par Québec désolants. « Si ça n'avait été de l'intervention des Forces canadiennes, la situation serait plus grave », s'indigne-t-il.

En effet, pour prévenir les inondations, la Ville de Montréal avait érigé une digue de terre sur 1,8 km, mais celle-ci a cédé dans la nuit de dimanche à lundi devant la force des flots. L'armée a dû être envoyée sur place pour renforcer la digue. L'opération a été un succès, puisque l'eau a pu être pompée pour libérer l'artère. Cette digue fait de 60 à 90 cm de haut, soit à peu de choses près la hauteur du rehaussement envisagé pour le boulevard Lalande. Une quarantaine de soldats doivent toutefois demeurer sur place pour s'assurer qu'elle reste en place.

Malgré le feu vert reçu par Québec, Pierrefonds a attendu avant de lancer le projet. L'année 2013 coïncidait avec les élections, si bien que le nouveau maire, Jim Beis, a décidé de consulter les riverains du secteur avant de lancer les travaux. Et voilà, « la plupart des citoyens étaient contre le rehaussement du boulevard Lalande », rapporte l'élu. Ceux-ci craignaient que surélever l'artère n'entraîne des problèmes de drainage et que l'eau ne s'accumule sur leurs terrains. L'arrondissement a alors décidé d'abandonner le projet.

Maintenant que des inondations ont forcé une intervention majeure de la sécurité civile, le maire de Pierrefonds dit qu'il compte revoir la sécurisation des rives de son arrondissement, une fois les inondations réglées, boulevard Lalande compris.

« ON AURAIT DÛ LE FAIRE »

Projet Montréal se dit renversé par les délais dans la réalisation du rehaussement du boulevard Lalande. « Ça va de soi qu'on aurait dû le faire. Quand on voit les conséquences, on peut juste se désoler que ça n'ait pas été fait plus tôt », déplore Valérie Plante, chef de l'opposition à l'hôtel de ville.

L'élue estime que Montréal aurait dû aller de l'avant, d'autant que le projet figure au plan d'adaptation aux changements climatiques de la métropole, adopté en 2015. « Une administration qui a un tel plan, si elle en fait vraiment une priorité, elle prend les moyens et met les énergies pour que ça débloque », dit Valérie Plante.

La question de l'adaptation aux changements climatiques risque de resurgir lors des élections, prévient la chef de l'opposition. Elle compte s'engager à réaliser les projets qui traînent pour protéger Montréal par rapport aux sursauts de Dame nature. « Ce sera une priorité. Est-ce que le cas du boulevard Lalande est isolé, ou y a-t-il d'autres projets prêts qui sont en attente ? », demande-t-elle.

Vingt centimètres qui changent tout

21,39 m: Hauteur du boulevard Lalande une fois rehaussé

21,19 m: Limite des inondations tous les 100 ans

20,83 m: Inondation tous les 20 ans

20,53 m: Portion la plus basse du boulevard Lalande actuellement

19,92 m: Hauteur atteinte en moyenne par les eaux lors des crues printanières

18,67 m: Hauteur des eaux en temps normal