En se donnant le statut de « ville sanctuaire », Montréal devrait s'assurer que les immigrants sans statut légal arrêtés par la police ne seront pas dénoncés aux autorités fédérales pour être déportés. Mais la déclaration que le conseil municipal se prépare à adopter ne va pas assez loin pour les protéger, selon le principal organisme de défense des sans-papiers.

« Des sans-papiers arrêtés pour avoir pris le métro sans payer, ou ne pas avoir fait leur stop, ont été dénoncés par la police de Montréal aux autorités de l'immigration et déportés, déplore Jaggi Singh, de l'organisme Solidarité sans frontières. La vraie définition d'une ville sanctuaire, c'est qu'il n'y ait aucune collaboration entre la police et les services frontaliers. Ce n'est vraiment pas clair que c'est ce que Montréal a l'intention de faire. »

Une déclaration sera soumise lundi au vote des élus municipaux, affirmant l'engagement de la Ville « à assurer la protection et l'accessibilité de ses services à toute personne sans statut légal qui vit sur son territoire, indépendamment de sa condition sociale et de son appartenance ethnique ou religieuse », indique le texte dont La Presse a pris connaissance.

La Commission de la sécurité publique devra trouver avec le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) « une approche pour s'assurer qu'une personne sans statut légal dans une position de vulnérabilité puisse avoir accès aux services de sécurité publique municipaux sans risque d'être dénoncée aux autorités d'immigration ou déportée », sauf si cette personne est recherchée pour des infractions criminelles.

L'adoption de la déclaration n'aura donc pas pour effet immédiat de protéger les immigrants sans statut, qui seraient 50 000 à Montréal. Les policiers pourront continuer de les remettre aux services frontaliers, dénonce Jaggi Singh. Les travailleuses du sexe seraient notamment visées par des descentes policières dans les salons de massage érotique et déportées systématiquement, raconte-t-il.

UNE MEILLEURE PROTECTION

Un vote favorable du conseil municipal pour faire de Montréal une ville sanctuaire serait tout de même un premier pas pour offrir une meilleure protection aux immigrants illégaux, souligne Donald Cuccioletta, coprésident du conseil d'administration de l'organisme Alternatives, qui a réclamé une telle mesure il y a deux semaines, dans une lettre ouverte.

« Ça va au moins permettre d'en parler. C'est sûr que les soins de santé et l'éducation, qui sont les services les plus importants pour les sans-papiers, ne relèvent pas des Villes, mais on arrivera peut-être éventuellement à parler de ces sujets. » - Donald Cuccioletta, coprésident du C.A. d'Alternatives

Les États-Unis comptent 174 villes sanctuaires, alors que le Canada n'en a que trois (Toronto, Hamilton et London, en Ontario). Mais cette désignation n'a pas la même portée ici qu'au pays de Donald Trump.

« Aux États-Unis, les villes ont beaucoup plus de latitude, elles sont complètement autonomes sur leur territoire, explique le spécialiste de la politique américaine. Elles peuvent décider de payer pour des soins et pour l'éducation des immigrants illégaux, si elles en ont les moyens, alors que les municipalités canadiennes n'ont pas ces pouvoirs. »

« UNE RÉSOLUTION IMPROVISÉE »

Solidarité sans frontières et d'autres organismes de défense des sans-papiers tiendront une conférence de presse, lundi, pour dénoncer le manque de vigueur des mesures de protection que Montréal se prépare à adopter.

Ces groupes demandent depuis plusieurs années à la Ville d'agir en ce sens, mais n'ont jamais été pris au sérieux, avant que le sujet ne devienne à la mode, souligne Jaggi Singh.

« Tout ça semble improvisé par le maire Denis Coderre, qui fait preuve d'opportunisme face aux mesures anti-immigration du président Trump. » - Jaggi Singh, de l'organisme Solidarité sans frontières

« Une résolution aussi improvisée est peut-être pire que pas de résolution du tout, parce que les personnes sans statut vont venir à Montréal en croyant être protégées, alors qu'elles ne le seront pas », ajoute le militant.

D'ailleurs, à Toronto, ville sanctuaire depuis 2013, les groupes d'aide aux immigrants déplorent que les policiers continuent de remettre des personnes sans statut aux autorités fédérales, qui les déportent. Selon un reportage du Toronto Star, en 2015, les policiers municipaux ont fait plus de 3000 appels sur une période de huit mois aux autorités frontalières pour vérifier le statut d'immigrants arrêtés pour d'autres infractions, alors qu'ils auraient dû respecter une politique de « pas de questions, pas de dénonciations » (Don't ask, don't tell).

Il y a deux semaines, le maire de Montréal Denis Coderre a envoyé sur Twitter un message à Donald Trump, pour lui signifier que « Montréal est une ville sanctuaire et fière de l'être. Nouveaux arrivants et réfugiés sont les bienvenus ici ».

Il a été impossible de parler à Denis Coderre hier pour l'interroger sur la portée de la déclaration qui sera soumise au conseil municipal. Le maire s'envolait pour Shanghai, pour inaugurer le premier vol sans escale entre Montréal et la métropole chinoise.