Plusieurs exterminateurs observent une hausse des signalements de la part de propriétaires ces derniers temps.

Un visiteur indésirable attendait Nadia Martel lorsqu'elle est entrée dans la salle de bains au sous-sol de son logement, il y a quelques semaines, pour se sécher les cheveux : un gros rat mouillé se tenait sur le rebord du siège de toilette. Il s'est enfui prestement dans la cuvette en la voyant.

« J'ai lâché un cri. On ne s'attend pas à ça, évidemment, raconte la résidante du quartier Villeray, à Montréal. J'ai fermé le couvercle de la toilette, puis j'ai mis un objet lourd dessus pour que le rat ne puisse pas l'ouvrir. Un peu plus tard, quand mon chum est revenu du travail, on a vérifié, et le rat était toujours dans la cuvette. »

Ils ont fait appel à un exterminateur pour éviter une autre rencontre aussi désagréable. Le propriétaire du logement est intervenu rapidement pour faire des améliorations de quelques milliers de dollars à son système de plomberie pour empêcher d'autres rats de s'en servir comme porte d'entrée.

Bien des Montréalais ont eu des surprises semblables à celle de Mme Martel, ces derniers temps. Plusieurs entreprises d'extermination ont constaté une forte hausse - cinq fois plus, dans certains cas ! - des appels de propriétaires aux prises avec des rongeurs dans leur maison, surtout près des chantiers.

Les nombreux travaux qui éventrent les rues de Montréal ont un autre effet pervers, en plus de perturber la circulation : ils font sortir les rats de leur habitat naturel, les égouts.

« Il y a beaucoup de chantiers cette année. Souvent, les égouts sont laissés ouverts, et c'est par là que les rats circulent », explique Harold Leavey, propriétaire de Maheu Extermination, qui travaille dans ce domaine depuis 40 ans.

Nadia Martel habite justement dans le quartier Villeray, non loin de la rue Jarry, où des travaux majeurs avaient lieu au moment de la visite du rongeur.

« Il y a une hausse importante des appels depuis l'été dernier. On a de 15 à 20 cas par semaine, alors qu'on en avait cinq par mois l'an dernier », affirme la technicienne en gestion parasitaire Chantal Lessard, copropriétaire de l'entreprise À Bas Prix Extermination.

Même constat chez Maheu Extermination, où le téléphone sonne 14 ou 15 fois par semaine en raison de la présence de rats, contre 2 ou 3 fois par semaine en temps normal, indique Harold Leavey.

Chez Central Extermination, le propriétaire Frank Pulcini a aussi remarqué que le nombre d'appels a doublé, pour passer à environ cinq par semaine au cours des derniers mois.

« Il y a plus de rats, et ils entrent plus dans les maisons », observe Stéphane Delisle, propriétaire de Rodentia Extermination. « Ça augmente chaque année, surtout qu'on a eu des hivers plus cléments. Dans les rues, les ruelles, les rats circulent en permanence la nuit. »

Certains exterminateurs soutiennent cependant ne pas être plus sollicités.

QUELLE POPULATION DANS LES ÉGOUTS ?

Y a-t-il un problème de rats à Montréal ? Feront-ils bientôt partie de la faune nocturne que l'on croisera au centre-ville, comme à Paris, où des parcs publics ont été fermés récemment pour permettre l'installation de pièges ?

Difficile d'avoir une vue d'ensemble de la situation. La Ville n'a pas de données précises sur la présence de rats sur son territoire. Les exterminateurs ne rapportent pas leurs interventions aux autorités municipales, et les citoyens qui voient des rats chez eux n'en informent pas nécessairement la Ville. Certains se chargent eux-mêmes de se débarrasser des indésirables, sans en parler à personne.

« Des gens appellent et pleurent au téléphone, en état de choc. D'autres disent qu'ils vont s'en occuper eux-mêmes », raconte Chantal Lessard, pour illustrer les différentes réactions à la suite d'une rencontre avec un rat.

Les arrondissements compilent le nombre d'appels de citoyens au 3-1-1 pour signaler la présence de rats ou de souris sur le domaine public. Selon ces données, c'est en 2014 que les rongeurs ont généré le plus grand nombre d'appels (415) dans les arrondissements les plus densément peuplés.

Mais le portrait n'est pas complet. Avant août 2015, l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve se chargeait de la dératisation pour les neuf arrondissements qui faisaient partie de l'ancienne ville de Montréal pré-fusions. Mais depuis, chacun gère ses propres bestioles. La façon de compiler les appels et d'intervenir varie donc selon les secteurs, ce qui rend les comparaisons difficiles.

Si plusieurs rats sont observés dans les rues ou sur des terrains publics, c'est le service des travaux publics qui se charge d'examiner et de réparer les bris au réseau d'égout municipal, qui permettent aux rongeurs de circuler entre leurs sombres tunnels et l'extérieur.

Si un locataire se plaint de la présence de rats sans que le propriétaire n'agisse, les arrondissements peuvent lui envoyer un avis exigeant qu'il embauche un exterminateur professionnel et en fournisse la preuve.

Selon plusieurs exterminateurs, une ville « bien tenue » compterait deux rats par habitant. On pourrait donc calculer une population d'environ 4 millions à Montréal, mais il n'y a jamais eu de recensement en bonne et due forme.

DANGER PUBLIC

« On se bat depuis plusieurs années pour que la Ville fasse nettoyer les terrains vacants, qu'elle contrôle mieux la gestion des vidanges et répare les égouts, déplore Harold Leavey. Les rats sont porteurs de maladies qui se transmettent à l'humain. Quand ils entrent dans les maisons, ils laissent de l'urine et des excréments dans notre nourriture et toutes sortes de bactéries puisqu'ils vivent dans les égouts. Ils peuvent aussi mordre les personnes vulnérables. »

M. Leavey admet que les morsures sont rares. Par contre, les rats transportent souvent des pathogènes.

« Dès qu'ils ont la chance d'entrer dans les maisons, ils y iront, parce qu'ils savent qu'ils pourront trouver de la nourriture », ajoute Gerhard Gries, professeur et chercheur à l'Université Simon Fraser, à Vancouver, qui a mis au point un piège nouveau genre.

Vancouver a un important problème de rats. Or, les poisons qui sont souvent utilisés pour tenter de les éradiquer sont un danger pour les autres animaux et les oiseaux, déplore-t-il. « C'est ce qui nous a incités à développer notre système avec des appâts qui attirent les rats dans une cage », dit-il.

Son équipe a recréé chimiquement les odeurs favorites des rongeurs. On y a ajouté des phéromones de rats mâles et des sons semblables aux couinements des bébés rats. Selon M. Gries, ces pièges sont au moins deux fois plus efficaces que ceux qui existent actuellement.

« Les rats sont très intelligents, ils se méfient quand ils voient un nouvel élément dans leur environnement. Il faut être plus malins qu'eux », explique le professeur, qui cherche finalement à commercialiser son invention.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les nombreux chantiers dans la métropole sont notamment montrés du doigt parce qu'ils contribuent à faire sortir les rongeurs des égouts.