Interdire d'éventrer les rues nouvellement réasphaltées. Facturer la dégradation prématurée des chaussées. Refuser les chantiers qui entrent en conflit avec d'autres. Afin de débloquer ses artères souvent encombrées de cônes, la Ville de Montréal compte revoir de fond en comble sa façon d'autoriser les entreprises comme Bell et Hydro-Québec à faire des travaux sur son territoire. Un guichet unique veillera désormais à une meilleure coordination.

MAUVAISE SURPRISE

Le matin du 10 mai 2016, la Ville de Montréal ferme les rues Viger et Saint-Denis près du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) afin d'en refaire les égouts et aqueducs. Non loin, des travaux bloquent aussi le boulevard De Maisonneuve, tandis que les rues Sainte-Catherine et Saint-Paul sont interdites à la circulation. Alors que la métropole compte sur le boulevard René-Lévesque pour maintenir l'accès à son centre-ville, une surprise de taille l'attend : Hydro-Québec entreprend le matin même de creuser une importante tranchée pour installer une nouvelle ligne électrique. Du coup, quatre des six voies de circulation sont fermées et d'imposants bouchons se forment. « Pour les gens, un cône, c'est un cône, mais il faut savoir qu'il y a autant, sinon plus, de travaux d'entreprises privées ou organismes publics que de chantiers de la Ville », dit Lionel Perez, élu responsable des infrastructures.

GUICHET UNIQUE

C'est pour éviter ces fréquents problèmes de coordination que Montréal a entrepris en 2013 de revoir ses pratiques. Après avoir étudié les façons de faire de Toronto, Québec, Boston et New York, un comité a recommandé de mettre en place un guichet unique pour autoriser les travaux sur les « réseaux techniques urbains ». Il s'agit d'entreprises comme Bell, Vidéotron, Hydro-Québec et Gaz Métro qui possèdent des câbles ou conduites sous les rues de Montréal. À l'heure actuelle, celles-ci doivent demander à chacun des 19 arrondissements un consentement avant de procéder à des travaux. Or, ceux-ci ignorent souvent les chantiers que sont à planifier d'autres services municipaux. « [Le guichet] permettra d'avoir une meilleure vision d'ensemble », dit Lionel Perez. Pour mettre en place ce guichet dès juin, l'administration Coderre demandera à la prochaine séance du conseil municipal de récupérer certains pouvoirs délégués aux arrondissements.

APPRENDRE À DIRE NON

La Ville dit avoir beaucoup travaillé à coordonner les chantiers de ses propres services, mais qu'elle doit désormais se pencher sur ceux des entreprises. Le guichet unique aura ainsi pour mandat d'éviter les chantiers entrant en conflit les uns avec les autres. Montréal estime qu'elle sera en meilleure position pour refuser des travaux. Pour éviter des scénarios comme celui connu en 2008 sur le boulevard Saint-Laurent, la Ville compte également sur le guichet pour interdire aux entreprises de creuser dans des rues nouvellement reconstruites, sauf en cas d'urgence. Cet interdit pourrait être en vigueur pour une période d'environ cinq ans. « On comprend que ces entreprises ont des travaux à faire, mais on veut une meilleure coordination et on ne veut plus d'excavations sur des chaussées sur lesquelles on vient de travailler », résume Lionel Perez.

FACTURATION DE LA DÉGRADATION

Autre changement majeur, Montréal veut aussi facturer aux entreprises le coût de la détérioration prématurée des rues que leurs travaux occasionnent. Chaque tranchée creusée fragilise la chaussée, réduisant sa durée de vie utile. L'eau s'infiltre en effet dans les incisions faites dans le bitume, ce qui contribue à la prolifération des nids-de-poule. La Ville compte ainsi évaluer la durée de vie et la valeur résiduelle de chaque tronçon de rue afin d'exiger un dédommagement chaque fois qu'une entreprise doit ouvrir la chaussée pour entretenir ses câbles ou conduites. Difficile d'évaluer avec précision combien une telle mesure pourrait rapporter, mais cela pourrait s'élever à quelques millions.

SUIVI PLUS SERRÉ

Outre un guichet unique, Montréal prévoit produire des guides afin de préciser les façons de procéder pour creuser dans les rues de la métropole et comment bien colmater les trous. La Ville prévient également qu'elle compte désormais évaluer le travail effectué et pourrait ainsi demander des correctifs. Montréal a aussi l'intention de développer un outil informatique pour suivre à la trace les travaux des tiers dans ses rues et ainsi avoir une meilleure connaissance de ce qui se trouve sous ses chaussées. Plusieurs chantiers de la Ville ont en effet été retardés après la découverte de câbles ou conduites qui n'apparaissent pas sur les plans. Récemment, par exemple, le chantier de l'avenue Papineau, à la tête du pont Jacques-Cartier, a été retardé de près d'un an. Une structure en béton protégeant des câbles de Bell ne se trouvait pas exactement à l'endroit indiqué sur les plans, forçant la prolongation du chantier pour déplacer la structure.