L'interdiction totale des panneaux-réclames décidée par l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal en 2010 est invalide parce qu'elle viole la liberté d'expression des entreprises d'affichage et de leurs clients, vient de décider la justice, au grand dam des élus locaux.

La Cour supérieure donne ainsi raison à trois entreprises spécialisées dans l'affichage qui sont montées au créneau lorsque leur fonds de commerce a été banni par l'administration de Luc Ferrandez, dans les mois qui ont suivi son arrivée à la mairie.

« Le Tribunal conclut à une violation injustifiable de la liberté d'expression », a écrit le juge Marc-André Blanchard, qualifiant d'« inconstitutionnel » le règlement municipal au centre du débat.

Hier, l'administration locale contrôlée par Projet Montréal a vivement critiqué la décision de la Cour supérieure. Les élus avaient voté ce règlement comme mesure de lutte contre la « pollution visuelle » et les « horreurs inouïes » que constituaient - selon eux - les panneaux-réclames dans leur quartier.

Les entreprises Outfront, Astral et Pattison, qui poursuivaient l'arrondissement, y détiennent une quarantaine de panneaux installés sur des immeubles ou des terrains privés. Ils sont demeurés en place le temps que la justice tranche sur la validité du règlement qui les condamnait.

La violation de la liberté d'expression des entreprises aurait pu être acceptable si l'objectif poursuivi par l'arrondissement avait été urgent et que l'atteinte aux droits avait été minimisée : c'est le cas de l'interdiction de faire de la publicité imposée aux cigarettiers, a rappelé la décision. Mais dans le cas des panneaux du Plateau, les « conséquences radicales » de l'interdiction votée ne sont pas justifiables, a déterminé le magistrat.

« Certains, à l'instar du maire Ferrandez, peuvent penser que la liberté d'expression sert de faux-semblant aux [entreprises d'affichage] pour leurs opérations strictement commerciales », mais « cette liberté existe pour tous », souligne le juge Blanchard.

« Cela constitue le prix à payer pour vivre dans une société pluraliste où le bien côtoie le mal, la beauté avoisine la laideur, le silence lutte avec le bruit et le mieux fréquente le pire. », poursuit le juge Marc-André Blanchard.

En 2010, Luc Ferrandez affirmait que l'arrondissement renonçait à 40 000 $ en revenus de taxe par année en interdisant ces structures.

Les élus en furie

Dans l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal, hier, les élus municipaux fulminaient.

« Franchement, je suis estomaqué par le jugement, a affirmé Alex Norris, conseiller municipal du district Jeanne-Mance, responsable du dossier. Le juge estime qu'il est plus important de ne pas incommoder des gens voulant faire de l'affichage commercial avec des structures envahissantes qui enlaidissent le quartier que de mettre en valeur nos paysages. »

M. Norris avait témoigné devant la cour dans le cadre de ces procédures - tout comme Luc Ferrandez d'ailleurs.

Selon lui, le juge « a sous-estimé l'importance patrimoniale de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal, la troisième destination touristique à Montréal ».

« Est-ce que nous sommes des citoyens de seconde classe qui sont condamnés à avoir à jamais ces structures envahissantes, ces laideurs dans leurs espaces publics ? », questionne Alex Norris, conseiller municipal.

Réaction inverse du côté d'Astral, Outfront et Pattison, qui ont fait front commun dans cette bataille.

« Justice a été rendue et nous souhaitons maintenant tourner la page », a affirmé leur porte-parole Jeannot Lefebvre, dans un communiqué envoyé à La Presse.

« Ce qui était en cause dans ce dossier est un principe fondamental d'équité envers des entreprises déjà établies sur un territoire, qui ont payé des permis pour ériger leurs structures, et qui versent chaque année des taxes et des redevances à la Ville », a fait valoir M. Lefebvre. « C'est la reconnaissance du droit à la liberté d'expression qui s'exprime par la présence de ce moyen de communication et par le caractère manifestement déraisonnable du bannissement. »

Alex Norris a indiqué que la décision de faire appel ou non du jugement de la Cour supérieure n'avait pas encore été arrêtée.

« C'est une décision qui sera prise après l'analyse du jugement par le service juridique de la Ville », a-t-il dit.