Le quartier Saint-Henri a dû dire adieu à son village des Tanneries plus tôt (et plus subitement) qu'il ne l'avait prévu quand la machinerie lourde a fait son entrée sur le chantier de l'échangeur Turcot, samedi, à la demande du ministère des Transports du Québec (MTQ).

Parmi tous les acteurs mobilisés pour préserver le village à l'origine du quartier Saint-Henri, aucun n'avait été averti par le MTQ que les travaux se mettraient en branle samedi. Ils ont appris la nouvelle par Twitter, par hasard ou lors d'un appel de La Presse.

« Ce n'est pas la première fois que ce genre de choses arrive, la fin de semaine ou à Noël, quand les médias et les élus sont moins sur le terrain. Je pense qu'on peut dire que ça s'est fait en catimini », a déploré la porte-parole de l'opposition municipale en matière de patrimoine, Anne-Marie Sigouin.

« On dirait qu'ils se dépêchent pour éviter qu'on lance quelque action que ce soit, par exemple [en obtenant] une injonction ou une meilleure évaluation [du projet] », a renchéri Guy Giasson, de la Société historique de Saint-Henri. « Je ne suis pas content, je suis vraiment déçu », a aussi laissé tomber le maire de l'arrondissement Le Sud-Ouest, Benoit Dorais.

Le choix de l'entrepreneur

Au MTQ, la porte-parole Sarah Bensadoun s'est défendue d'avoir donné le feu vert au chantier en cachette. « L'entrepreneur gère son emploi du temps, alors il a décidé d'y aller aujourd'hui [samedi] à cause de la météo [clémente] », a-t-elle expliqué, avant d'admettre que les travaux ne cumulent aucun retard.

« On avait déjà mentionné que les fouilles avaient été divisées par secteurs », a-t-elle aussi souligné. Ainsi, les travaux de démolition des vestiges et de remplissage avanceront désormais au fur et à mesure que les fouilles archéologiques seront terminées, et ce, sous la supervision de l'archéologue en chef.

Confusion

Le MTQ avait bel et bien annoncé, dans le cadre d'un comité de bon voisinage tenu il y a deux semaines, que les travaux avanceraient au même rythme que la fin des fouilles. Mais c'est justement cette annonce qui a entraîné les protestations, a rappelé le maire Dorais, qui a cru comme bien d'autres que l'opposition populaire avait contraint le Ministère à mettre la pédale douce sur le projet, qui doit permettre à un collecteur d'eau de traverser le secteur historique.

Anne-Marie Sigouin a quant à elle discuté jeudi avec un fonctionnaire du ministère de la Culture qui se rendait sur le site pour de nouvelles observations. « On avait donc l'impression que le travail d'évaluation de la valeur du site était encore en cours », a-t-elle affirmé.

Des inquiétudes pour la suite

Les vestiges qui ont été ensevelis samedi sont situés dans la partie du village des Tanneries qui a été construite au XXesiècle. « Ce qui m'inquiète, ce sont les vestiges anciens. On va avoir combien de temps pour réagir ? », a demandé le maire Dorais.

La semaine dernière, les ministres Robert Poëti et Hélène David de même que le maire de Montréal, Denis Coderre, ont annoncé la création d'un comité chargé de trouver un projet de mise en valeur des 150 caisses d'artefacts récupérés sur le site. « Mais j'ai l'impression que le travail du comité est assez vain : les 150 [caisses d'] artefacts sortis sont corrects. Mais pour les vestiges, c'est parti », s'est désolé Benoit Dorais.

« Je vais manifester mon mécontentement au cabinet du Ministère », a-t-il aussi affirmé. « On paie des gens pour être sur un comité, on nous presse de toutes parts, on délègue des gens des ministères des Transports et de la Culture ; ils passent du temps en réunion, on les paye pour avancer et trouver des solutions, et durant ce temps-là, on décide de tout démolir... parce qu'il fait beau. »