Le premier mot qui a traversé l'esprit de Michel Proulx, un producteur laitier de Les Cèdres, c'est «Mirabel». La rumeur qui enflait à mesure qu'elle se répandait dans les rangs de cette municipalité, en septembre 2014, parlait d'expropriations totalisant 1100 hectares dans la zone agricole pour créer ce fameux pôle logistique dont tout le monde parle, dans la région, depuis des lustres.

Dans les semaines qui ont suivi, des dizaines d'agriculteurs ont envahi les salles du conseil de la MRC de Vaudreuil-Soulanges et du conseil municipal de Les Cèdres, «où on n'a rien appris», dit le producteur avec une pointe d'amertume.

Qui sera touché? Quand seront-ils achetés? Qui paiera les infrastructures d'accès au nouveau site industriel? Comment les producteurs seront-ils indemnisés? Trois saisons plus tard, ils n'en savent toujours rien.

«On ne sait rien, mais on sait qu'il se passe quelque chose, et que c'est peut-être notre terre, notre travail, notre famille qui est en jeu. C'est pas vraiment comme une menace, mais c'est toujours là», dit M. Proulx, qui estime que l'attente et l'anxiété qu'elle génère ont assez duré.

Il n'est pas le seul.

Dans une lettre cinglante à l'endroit de la MRC de Vaudreuil-Soulanges, datée du 15 juin dernier, le président de l'Union des producteurs agricoles (UPA) Montérégie, Christian Saint-Jacques, fait appel au premier ministre Philippe Couillard pour «remettre les pendules à l'heure» en démontrant que la stratégie maritime de son gouvernement «ne doit pas avoir pour conséquence d'asphalter des terres agricoles de grande qualité».

«Nous comprenons qu'en plus du pôle logistique national, dit le président de l'UPA-Montérégie, la MRC de Vaudreuil-Soulanges projette l'implantation de son propre pôle logistique. Plusieurs centaines d'hectares d'excellentes terres sont déjà dans la mire de la MRC. Il est déconcertant de voir que les gestionnaires du territoire régional perpétuent délibérément un flou stratégique, alimenté par des rumeurs d'expropriations depuis tant d'années. C'est déconcertant et au final, ça discrédite le projet de pôle logistique issu de la stratégie maritime.»

3 pôles, 1060 hectares

La rumeur locale qui a fait courir les producteurs au conseil municipal de Les Cèdres, en septembre dernier, était fondée. La Presse a obtenu une carte produite à l'automne 2014 par le Conseil local de développement (CLD) de Vaudreuil-Soulanges, le bras économique de la MRC. La carte montre trois emplacements distincts sur le territoire de la municipalité de Les Cèdres pour l'aménagement des futurs pôles logistiques.

Les terrains de 304 hectares appartenant au Canadien Pacifique (CP), exclus du territoire agricole depuis plus de cinq ans et disponibles pour le développement, forment un premier pôle. Un deuxième pôle, nommé «gouvernement du Québec», borde la totalité de la propriété du CP, du côté est, et s'étend sur 538 hectares entre l'autoroute 20 et la route 340, au nord. Un troisième pôle, «MRC de Vaudreuil-Soulanges», s'étend sur 218,6 hectares, le long de l'autoroute 20, entre le pôle gouvernemental et l'échangeur de l'autoroute 30.

Les trois pôles logistiques réunis s'étendraient sur un total d'environ 1060 hectares, ou 10,6 kilomètres carrés. La vocation des sols devrait être modifiée sur 70% de ce territoire.

Le commissaire industriel du CLD, Julien Turcotte, précise que ces superficies ont été révisées à la baisse dans la dernière recommandation de la MRC a faite au gouvernement du Québec pour l'établissement du pôle logistique de Vaudreuil-Soulanges. La superficie des parcs de logistique couvre maintenant un total d'environ 800 hectares, dont 500 en zone agricole.

«On essaie d'organiser le territoire régional pour les 20 prochaines années, plaide M. Turcotte. Il me semble qu'on ferait mieux de planifier sur 1000 hectares aujourd'hui, que de planifier 50 fois pour des projets de 20 hectares, pendant 20 ans.»

Inquiétudes

Au bout de sa terre du chemin Saint-Féréol, la propriété de Michel Proulx rejoint les terrains du CP, où un projet de complexe intermodal de 300 millions devait voir le jour, il y a quelques années, avant d'être mis en veilleuse. «Ils travaillent sur le site, présentement, dit M. Proulx à La Presse. Je ne sais pas ce qu'ils font, mais j'entends de la machinerie.»

Il est aux aguets. Sa famille exploite la terre depuis trois générations. M. Proulx a de la relève, et une quatrième génération assurera le développement de sa ferme, qui compte aujourd'hui entre 130 et 140 têtes, dont 85 vaches laitières. Il vante la richesse du sol, sa terre noire, de celle qu'on utilise au jardin.

«C'est fou de vouloir construire des entrepôts là-dessus», déplore-t-il.

Puisque sa terre longe les terrains du CP sur une grande distance, M. Proulx ne se fait pas d'illusions quant à ses chances d'échapper à une amputation partielle de ses biens si le développement industriel devait déborder le site du Canadien Pacifique. Mais il ne baissera pas les bras.

«Je vais tout faire pour garder ma ferme, assure-t-il. Je ne sais pas encore ce que je vais faire, mais je vais la défendre.»