Gérald Tremblay ne digère pas les propos de son successeur Denis Coderre qui l'a accusé d'avoir laissé tomber il y a 10 ans un projet de salle de spectacle du Cirque du Soleil dans le Sud-Ouest. Refusant de porter le blâme, l'ex-maire de Montréal affirme que Guy Laliberté a plutôt décidé de jeter l'éponge après avoir été «blessé» par des commentaires du ministre des Finances de l'époque.

«Denis Coderre a des réalisations, qu'il en parle plutôt qu'essayer de critiquer sans avoir toute l'information», a lancé Gérald Tremblay, lors d'un entretien hier. Discret depuis sa démission en novembre 2012, l'ex-maire a contacté La Presse hier pour répliquer aux «critiques non fondées» de son successeur qui l'a accusé d'avoir laissé tomber le projet de salle de spectacle et de ne pas «avoir mis ses culottes» face à la contestation.

Gérald Tremblay présente une version tout autre. En mars 2006, le gouvernement publie les résultats d'une analyse commandée sur le projet de casino piloté par Loto-Québec dans lequel le Cirque du Soleil devait aménager une salle de spectacle. Le rapport rédigé par Guy Coulombe est plutôt tiède et invite la société d'État à peaufiner sa proposition.

L'ex-maire affirme que la Ville de Montréal, Loto-Québec ainsi que le Cirque du Soleil s'étaient alors entendus pour mettre en place un processus de médiation avec les citoyens du Sud-Ouest afin de désamorcer leurs inquiétudes suscitées par le projet. Un communiqué pour l'annoncer avait même été rédigé, assure l'ex-maire, mais une sortie du ministre des Finances de l'époque a tout fait dérailler.

«En après-midi, Michel Audet a fait un point de presse durant lequel il a dit que ce n'était pas un projet bien attaché, bien ficelé. Guy Laliberté l'a pris personnellement. Il a été profondément blessé par l'attitude du ministre et il a laissé tomber le projet. Ce n'est pas la Ville de Montréal qui a laissé tomber le projet», martèle Gérald Tremblay.

Loin d'avoir laissé tomber le projet comme l'accuse maintenant Denis Coderre, Gérald Tremblay dit avoir au contraire tenté de convaincre le fondateur du Cirque du Soleil de rester dans l'aventure. Sans succès. «J'ai parlé à Guy Laliberté pour lui demander de reconsidérer, mais il était profondément blessé par l'attitude du ministre des Finances.»

Tremblay a manqué de leadership

L'ex-PDG de Loto-Québec, Alain Cousineau, confirme en partie la version de Gérald Tremblay, mais l'écorche tout de même pour le faible soutien qu'il dit avoir senti au projet. «Quand le maire Labeaume a décidé d'avoir un nouvel auditorium à Québec, il était sur toutes les tribunes. Il n'a pas juste regardé le train passer: il a exercé un certain leadership. Je n'ai pas senti que Montréal avait ce leadership. Mais ce n'est pas ce qui a été le déclencheur [du retrait du Cirque] en bout de ligne», relate l'homme.

Alain Cousineau confirme que Guy Laliberté a été refroidi par la sortie du ministre des Finances. «De voir un communiqué dans lequel on parlait d'un "avant-projet", après deux ans d'efforts, c'était clairement une indication qu'il n'y avait pas de volonté politique dans l'esprit de Guy Laliberté et c'est à ce moment qu'il a pris sa décision.» L'ex-dirigeant de Loto-Québec a toutefois dit n'avoir jamais entendu parler du processus de médiation avec les citoyens de Pointe-Saint-Charles dont Gérald Tremblay fait maintenant état.

Joint par La Presse, Michel Audet dit avoir simplement «demandé à Loto-Québec de préciser son projet et de poursuive ses travaux en tenant compte des préoccupations financières et sociales exprimées dans le rapport Coulombe. En guise de réponse, la direction de Loto-Québec et Guy Laliberté ont alors annoncé abruptement l'abandon du projet.»

Autre proposition sur l'île Sainte-Hélène

Quant au projet Pangéa de Guy Laliberté, qui pourrait voir le jour sur l'île Sainte-Hélène, l'ex-maire Tremblay a préféré ne pas se prononcer sur les mérites de cette proposition, disant ne pas avoir assez d'informations. «Mais je suis entièrement d'accord qu'on veuille faire quelque chose pour le 375e. C'est moi qui ai commencé ça.»

Reste que Gérald Tremblay dit avoir lui-même déjà proposé à Guy Laliberté de réaliser un autre projet à l'île Sainte-Hélène. «J'ai proposé aux autorités de sa fondation One Drop de faire leur siège social sur l'île Sainte-Hélène, dans la Biosphère. Mais ce n'était pas dans les plans de la fondation. Pour moi, c'était une façon de permettre à Guy Laliberté de rayonner davantage pour sa contribution exceptionnelle au développement économique, culturel et touristique. Ç'aurait été très emblématique.»

À l'époque, le gouvernement fédéral souhaitait se désengager de la Biosphère en raison de ses coûts élevés. L'ex-maire estime que l'endroit aurait offert une vitrine exceptionnelle à la Fondation One Drop.

Chronologie d'un projet mort-né

JUIN 2005

Confrontée à une baisse d'achalandage au casino de l'île Notre-Dame, Loto-Québec présente un projet de 1,2 milliard pour déménager son établissement au bassin Peel, soit près de l'autoroute Bonaventure. Le complexe récréotouristique envisagé devait inclure un hôtel de 300 chambres, un spa, une salle de spectacle intérieure de 2500 places, une scène extérieure pouvant accueillir de 8000 à 10 000 personnes et un port de plaisance. Un monorail devait également relier le complexe au centre-ville.

30 OCTOBRE 2005

Le projet est mal reçu par les citoyens, certains organisant même une manifestation qui a attiré quelques centaines de personnes.

FÉVRIER 2006

La direction de santé publique publie un rapport défavorable au projet, estimant que sa localisation dans un quartier défavorisé entraînerait une hausse du nombre de joueurs compulsifs.

9 MARS 2006

Le comité interministériel chargé d'analyser le projet dépose un rapport tiède au projet de casino invitant Loto-Québec à le peaufiner.

10 MARS 2006

Le Cirque du Soleil annonce qu'il se retire du projet. Quelques minutes plus tard, Loto-Québec renonce à déménager son casino.