Le gouvernement Harper avait l'intention de souligner la mémoire de Champlain en donnant son nom au port de Montréal, une stratégie pour faire accepter qu'on baptise le nouveau pont sur le Saint-Laurent pour illustrer la contribution de Maurice Richard, le joueur étoile du Canadien de Montréal.

Des sources à Québec, au gouvernement fédéral ainsi que dans le milieu des transports à Montréal ont confié à La Presse que les deux annonces devaient se faire simultanément, dans le but de prévenir le torrent de critiques de ceux qui voulaient qu'on maintienne le nom de Champlain pour le nouvel ouvrage. On jugeait que le fait de lier étroitement Champlain au fleuve dont il avait exploré le littoral était lourd de sens. Des discussions avaient eu lieu aussi avec les autorités du port de Montréal. Des sources fédérales insistent toutefois; il n'était pas question de procéder à ces annonces dès le 9 décembre - une autre conférence de presse liée à la maintenance de l'ancien pont est toujours au programme toutefois.

Quand La Presse a révélé prématurément le projet du ministre Denis Lebel pour le «pont Maurice Richard», toute la stratégie d'Ottawa a dérapé - une seule partie du plan de match était dévoilée publiquement. La semaine dernière, le ministre Lebel annonçait que, devant la controverse, la famille Richard déclinait désormais l'offre de souligner la mémoire de leur père avec le nouveau pont.

Le ministre Lebel refuse toujours que le nouveau pont conserve le nom de l'explorateur Champlain - l'idée de Jeanne-Mance a repris un second souffle avec la mise au rancart du nom du Rocket. Les ministres Christian Paradis et Maxime Bernier ont toutefois publiquement soutenu qu'ils appuyaient le maintien du nom de Champlain.

Joint hier, le spécialiste de la toponymie Henri Dorion a jugé saugrenue l'idée de faire passer le nom de Champlain du pont au port. Il ne peut trouver d'autre exemple où un port a été nommé à la mémoire d'une personne. Surtout, dans tout ce débat on n'a toujours pas répondu à une question: pourquoi retirer le nom de Champlain? «On pose ce geste quand on veut se dissocier des gestes d'un individu; en Colombie-Britannique il y avait un mont Staline, qu'on a renommé pour faire oublier le dictateur», relève M. Dorion. Dans le même esprit, en Ontario on a renommé Kitchener une ville qui s'appelait Berlin, avant la Première Guerre mondiale.

Unanimité à Québec

Un nouvel obstacle est apparu hier sur la route du ministre Lebel; à l'unanimité, l'Assemblée nationale a adopté une motion qui «demande le maintien du nom Champlain pour le pont de remplacement reliant la Rive-Sud à Montréal.»

Pour la critique péquiste en matière de Transports, et marraine de la motion, Martine Ouellet, le gouvernement Couillard vient de changer d'idée, lui qui préconisait la semaine dernière une vaste consultation sur le nom du nouveau pont. Le ministre des Transports, Robert Poëti «est revenu à la raison, et il met de côté son projet de consultation» observe Mme Ouellet.

Pour elle, l'adoption de cette motion à l'unanimité, constitue «un grand pas dans le dossier du pont Champlain pour notre histoire et notre mémoire. Samuel de Champlain est considéré comme le père de la Nouvelle-France, un grand explorateur qui a exploré, en 1603, le fleuve Saint-Laurent».

Pour le ministre Poëti, la motion adoptée rejoint justement ce qu'il avait préconisé: «On a consulté la population, en demandant leur avis aux 125 élus qui la représentent, c'est exactement ce que je souhaitais.»

En point de presse aussi, Jean-François Lisée soutient que le plan de match du ministre Lebel paraît cousu de fil blanc. «Il faut voir la stratégie derrière ça. Le gouvernement fédéral veut nous faire croire qu'il y a un nouveau pont sur le Saint-Laurent, c'est le nom qu'il lui donne, parce que lorsqu'il y a un nouveau pont, on peut mettre un péage» soutient le député Lisée.

Pour les députés péquistes, le nom de Champlain doit rester accolé au pont, il ne serait pas acceptable de l'en déloger. Désormais, «la balle est dans le camp de M. Poëti et de M. Couillard pour montrer un peu d'épine dorsale historique face au Canada et de demander que rapidement le gouvernement canadien confirme que ce pont existant gardera son nom existant», a soutenu M. Lisée.