Quels sont les secteurs les plus chauds de Montréal? Les résidants de certains quartiers courent-ils plus de risques d'être victimes de crimes graves? Où surviennent les agressions sexuelles, le trafic de drogue, les tentatives de meurtre ou les vols de voitures? La Presse dresse un portrait inédit du Montréal interlope grâce à des données jamais encore dévoilées et à une toute nouvelle technique d'analyse de la criminalité.

Les citoyens de certains quartiers de Montréal courent beaucoup plus de risques que d'autres d'être victimes d'un crime grave. Notre palmarès inédit de la criminalité le confirme.

Bien que la criminalité soit en baisse dans la métropole depuis quelques années, plus de 100 000 infractions, dont des milliers de très graves, ont été recensées par la police l'an dernier.

Si Montréal-Nord et Saint-Michel, fiefs des gangs de rue, restent des secteurs particulièrement chauds de la métropole, le quartier qui trône en tête de notre compilation a un tout autre profil.

Paradis du vol de voiture, terrain de jeu de prédilection des cambrioleurs et théâtre de plusieurs centaines d'agressions armées depuis trois ans, Mercier remporte le «titre».

Le territoire du poste de quartier 48, qui s'étend du fleuve Saint-Laurent aux limites de Saint-Léonard et d'Anjou, entre les rues Lacordaire et Georges-V, est l'endroit où l'on court le plus de risques d'être victime d'un crime grave dans la métropole.

C'est ce que révèle une analyse combinée du taux de criminalité et de la gravité moyenne des crimes commis dans la métropole réalisée pour le compte de La Presse par le chercheur en criminologie Rémi Boivin, professeur adjoint à l'Université de Montréal. *

Pourtant, ce secteur n'est ni un fief des gangs de rue, ni le siège d'une vie nocturne décadente, ni même parmi les plus défavorisés de la métropole.

Qu'est-ce qui le rend alors si propice à la criminalité? Pour comprendre, La Presse a obtenu des chiffres inédits du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui détaillent tous les crimes enregistrés par les forces de l'ordre entre 2011 et 2013.

On y apprend que c'est dans Mercier que l'on compte le plus de vols de voitures à Montréal: plus de 1000 en trois ans. Le stationnement du centre commercial Place Versailles, où se trouve un des centres d'enquêtes spécialisées du SPVM, est ironiquement l'un des endroits les plus vulnérables de l'île.

Avec les nombreuses autoroutes et artères principales qui passent dans le secteur, «c'est un endroit de fuite très facile», reconnaît le commandant du poste de quartier 48, Pierre Landry.

«On est à l'extrémité de la ville. Beaucoup de gens stationnent leur voiture près des stations de métro et partent travailler en transports en commun», explique-t-il. On voit beaucoup de vols sur la voie publique [pendant que les propriétaires sont partis pour la journée].»

Sans oublier la proximité du Port de Montréal, où se retrouvent clandestinement les véhicules destinés à l'exportation, soit 65% des voitures volées à Montréal.

«C'est beaucoup moins risqué de se faire prendre si les voleurs n'ont pas à rouler longtemps avec le véhicule volé», explique Freddy Marcantonio, de l'entreprise de prévention et de récupération d'autos volées Tag Repérage.

Cambriolages

On dénombre aussi dans Mercier 1500 entrées par effraction dans des maisons et des appartements depuis 2011, ce qui place le quartier en troisième place pour ce type de crime, tout juste derrière l'ouest d'Hochelaga-Maisonneuve et Rosemont-LaPetite-Patrie.

Au début du mois de septembre, un couple de sexagénaires a été ligoté par des voleurs dans sa maison de la rue du Quesne, en pleine heure du souper. Armes au poing, les cambrioleurs ont tout bonnement frappé à la porte. L'homme, un avocat, leur a ouvert sans se méfier. Les malfrats sont partis avec une importante somme d'argent. Ils courent toujours.

«Je ne me sens plus en sécurité dans ma propre maison», a confié la femme, qui nous a demandé de ne pas publier son nom parce qu'elle craint d'être à nouveau attaquée. «Je me promène partout avec un bouton de panique portatif. Je sais que ça ne me protège pas, mais ça me rassure un peu.» Même les voisins se sont fait installer des systèmes d'alarme. «Ça a ébranlé tout le monde», selon la victime.

Deux semaines plus tard, une serveuse de la Brasserie Champlain, située en face de la station de métro Honoré-Beaugrand, a vu la mort de près lorsque quatre bandits ont braqué sur elle le canon d'une arme à feu. Diane Grondin était seule au bar quand les hommes l'ont menacée pour s'emparer de 4000$. Ils ont été arrêtés, mais la serveuse garde des séquelles de l'incident. «Je vois une psychologue chaque semaine. J'ai changé d'emploi. Je suis encore très fragile», a-t-elle confié.

Il y a quelques mois, les policiers du même quartier ont arrêté un groupe d'adolescents dont le plus jeune membre avait 13 ans. Des cambriolages, «ils en avaient fait pas mal», dit Pierre Landry. Il se souvient aussi de l'arrestation en flagrant délit d'un homme qui avait laissé son jeune enfant seul à la maison en pleine nuit pour partir à la recherche d'un butin dans les logements avoisinants.

Plus de 500 agressions armées ont aussi été commises depuis 2011 dans le secteur. Seul Montréal-Nord (PDQ 39) fait pire.

«Ça ne veut pas dire que 500 personnes se sont fait attaquer en pleine rue, précise toutefois le commandant Landry. Une agression armée peut arriver dans un contexte de violence conjugale ou de vol, par exemple. Ce qu'on observe surtout sur notre territoire, dit-il, ce sont des crimes à saveur résidentielle.»

La présence d'un hôpital psychiatrique (Institut universitaire en santé mentale de Montréal) et d'un centre jeunesse (Mont-Saint-Antoine) sur le territoire pourrait-elle avoir quelque chose à voir avec sa mauvaise performance au palmarès? Il semble que non. «Ça nous tient occupés, mais ça n'a rien à voir avec [des enjeux de] criminalité», répond le commandant.

Au SPVM, on assure que tous les quartiers sont également sécuritaires. «Je ne peux pas dire qu'il y a des quartiers où c'est plus difficile de vivre. On a une répartition du personnel. On peut être plus robustes [à certains endroits] de façon ponctuelle. On est prêts à réagir à toute éventualité dépendamment des événements. On adapte selon la réalité des quartiers», explique le directeur adjoint Didier Deramond.

* Lisez notre méthodologie complète: lapresse.ca/metho



Les «défis» de Saint-Michel et Montréal-Nord

Montréal-Nord et Saint-Michel, deuxième et troisième dans notre palmarès, ne font pas bien meilleure figure que Mercier.

Selon les chiffres du SPVM, Montréal-Nord est la capitale montréalaise des agressions sexuelles* (163 en trois ans) et des agressions armées (706). L'arrondissement se classe aussi très haut pour la possession illégale d'armes à feu.

«On est très conscient de la situation. Qu'on parle des agressions sexuelles, des agressions armées ou des tentatives de meurtre survenues dans le quartier, on a un dénominateur commun: la violence conjugale», explique le commandant du PDQ de Montréal-Nord, Martial Mallette.

Dans le quartier, un crime sur deux est lié à la violence conjugale ou intrafamiliale, évalue le policier. «Ça se peut que dans les prochaines années, on observe même une augmentation de ces crimes dans nos statistiques parce qu'on incite beaucoup les victimes à dénoncer», souligne le commandant, qui y voit un reflet du travail accru de sensibilisation sur le terrain.

La lutte à la violence conjugale y est une priorité. Depuis l'an dernier, le PDQ 39 a ajouté à son équipe une intervenante du Centre d'aide aux victimes d'actes criminels. En travaillant au poste, elle peut venir en aide plus rapidement aux victimes dès la réception de la plainte.

En 2010, le SPVM avait fait son mea culpa après la mort d'une résidante de ce quartier, Maria Altagracia Dorval. La mère de famille de 28 ans avait porté plainte à la police parce que son ex-conjoint l'avait menacée de mort. Les enquêteurs n'avaient pas agi assez rapidement. Une semaine plus tard, l'homme passait à l'acte et assassinait la jeune femme. Un policier du poste est désormais responsable de faire un suivi quotidien des dossiers de violence conjugale.

L'héritage des gangs

Après la mort du jeune Fredy Villanueva tué par la police et des émeutes qui ont suivi en 2008, les projecteurs se sont tournés vers Montréal-Nord et Saint-Michel, aux prises avec des réalités semblables. Les subventions ont déferlé pour éviter que l'histoire ne se répète. Malgré cela, la présence des gangs de rue continue causer des problèmes.

«Ce sont des quartiers où il y a beaucoup de jeunes, une certaine pauvreté et une immigration relativement récente qui sont des terreaux fertiles pour le développement de gangs de rue. Et on sait que les membres des gangs de rue sont de grands producteurs de délits», explique le criminologue Jean-Pierre Guay.

La lutte aux gangs de rue demeure donc une priorité. «On a arrêté plusieurs criminels liés aux gangs ces dernières années, indique le commandant Mallette de Montréal-Nord. On continue aussi nos efforts de prévention en multipliant les activités avec les jeunes.»

La relation entre la police et les citoyens s'est «grandement améliorée» depuis l'affaire Villanueva, toujours selon le commandant Mallette. La hausse des saisies d'armes à feu illégales observée dans son secteur n'y serait pas étrangère. «Ça ne veut pas dire qu'il y a plus d'armes qu'avant, mais on reçoit beaucoup plus d'informations du public parce que les gens nous font davantage confiance», analyse le policier.

Pas de lunettes roses

Les résultats du palmarès de La Presse n'étonnent pas davantage le commandant du poste de quartier de Saint-Michel, Marc Charbonneau. «Le profil socio-économique particulier contribue à la réalité criminelle du quartier», dit-il. Le policier énumère les caractéristiques du secteur: le quart de la population a moins de 20 ans, la moitié des résidants est issue de l'immigration, le pourcentage de familles monoparentales et d'enfants souffrant d'insécurité alimentaire est élevé, etc.

«Mais les statistiques ne montrent pas tout», avertit le commandant Charbonneau. «Je connaissais l'image négative du quartier, mais à mon arrivée, ma perception a complètement changé, raconte celui qui est en poste depuis trois ans. J'ai été emballé de découvrir à quel point nos partenaires travaillent ensemble pour améliorer les choses. Ici, tout le monde place l'humain au coeur de ses interventions.»

En juin dernier, trois fusillades ont eu lieu en neuf jours au «plan Robert» où près de 200 familles s'entassent dans autant d'HLM situés à la frontière entre Saint-Michel et Saint-Léonard. Il y a quelques années, les résidants du secteur n'auraient «rien vu rien entendu». Ils n'auraient même pas appelé la police.

Or, tout comme à Montréal-Nord, la relation entre les forces de l'ordre et les citoyens s'est améliorée à Saint-Michel, selon le commandant. Grâce à des informations du public, ses policiers ont arrêté les coupables - 11 personnes, dont des mineurs - peu de temps après l'épisode de violence.

Le policier se défend de porter des lunettes roses pour autant. Le taux d'agressions sexuelles dans le quartier reste plus élevé que la moyenne de l'île. La violence conjugale y est aussi un problème majeur. Les agressions armées sont très nombreuses. Dans les trois quarts des cas, la victime connaît son agresseur.

Attention aux étiquettes

À pareille date l'an dernier, le commandant du poste de Saint-Michel avait un problème délicat sur les bras. Des élèves d'une école primaire se plaignaient d'être victimes de taxage et d'intimidation à la sortie des classes. L'établissement avait aussi été victime d'une série d'entrées par effraction.

La rumeur voulait que les «gangs de rue» soient derrière tout ça. Les policiers ont rapidement trouvé les coupables. Ce n'était pas des membres de gangs purs et durs.

«J'ai un inconfort avec l'étiquette «gang de rue», dit le commandant. Certains des jeunes avaient un grand frère ou un cousin dans les gangs, mais c'était surtout de jeunes adolescents qui n'avaient rien à faire.»

Les deux quartiers ont leur «lot de défis», mais ils sont plus sécuritaires qu'avant, concluent les commandants des deux PDQ. Depuis 10 ans, les crimes contre la personne ont baissé de 25% dans Saint-Michel et de 20% dans Montréal-Nord.

* C'est officiellement dans le PDQ 48 (Mercier) que l'on dénombre le plus d'agressions sexuelles. Or, la majorité de ces crimes n'ont pas eu lieu dans le quartier. Ce PDQ héberge le centre opérationnel où travaillent les enquêteurs spécialisés dans les agressions sexuelles.

Qu'en pense le SPVM?

Nous avons soumis les résultats de notre palmarès de la criminalité au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avant de les publier afin de lui donner le temps de les analyser. En entrevue avec La Presse, le directeur adjoint Didier Deramond a émis plusieurs réserves. En voici la liste, accompagnée de nos précisions.

SPVM: «J'ai été interpellé par certains résultats. Il y a des constats qui n'ont pas de sens. Ça ne reflète pas ce qu'on observe sur le terrain. Par exemple, le fait que le PDQ 7 (Saint-Laurent) se retrouve dans le haut de la liste. J'ai beaucoup de réserves par rapport à ces chiffres-là. Le PDQ 7, au SPVM, ce n'est pas le PDQ où il y a le plus de crimes en quantité.»

LP: Dans notre classement, le PDQ 7 arrive 8e sur 33. Il est vrai que le secteur affiche un nombre de crimes et un taux de criminalité relativement bas. Toutefois, les crimes qui y sont commis sont en moyenne beaucoup plus graves qu'ailleurs. À Montréal, Saint-Laurent est au deuxième rang des pires moyennes de gravité, derrière le poste du métro. C'est pour cette raison que le PDQ 7 se retrouve dans le premier tiers de notre palmarès.

SPVM: «J'ai certaines préoccupations quant à la méthodologie. [Dans le calcul], on ne tient pas compte de la quantité [de crimes]. Et on ne tient pas compte des différents facteurs [la démographie, la sociologie, le nombre de résidants, la violence, etc.] qui influencent la criminalité.»

LP: Pour dresser son palmarès, le chercheur a utilisé deux variables: le taux de criminalité, soit le nombre de crimes par tranche de 100 000 habitants, et la gravité des crimes commis dans chaque poste de quartier. La quantité de crimes recensés par la police compte donc pour 50% de son analyse. Cette variable est bien présente dans le classement final.

Il est vrai que les chiffres ne tiennent pas compte des facteurs sociaux qui influencent la criminalité. C'est pourquoi nous avons fait des dizaines d'entrevues et beaucoup de travail de terrain afin de nuancer les données.

SPVM: «J'ai beaucoup de difficulté avec la façon d'attribuer des points à certaines infractions par rapport à leur gravité au détriment d'autres crimes. Par exemple [selon votre pointage], le vol à l'étalage est plus important que la violence conjugale. J'ai beaucoup de misère à concevoir que des crimes violents soient moins pesants que des vols à l'étalage.»

LP: Pour mesurer la gravité des crimes survenus dans chaque quartier, le chercheur attribue des points à toutes les infractions enregistrées par le corps de police. Il utilise un pointage élaboré par Statistique Canada au terme de plusieurs années de réflexion et d'analyse de la jurisprudence canadienne. Ainsi, les crimes qui engendrent les peines les plus lourdes valent le plus de points. Ainsi, un vol d'une valeur de moins de 5000$ vaut 37 points, un vol de plus de 5000$ correspond à 139 points et un vol qualifié (avec une arme) compte pour 583 points. La violence conjugale n'est pas en soi une infraction au sens du Code criminel. C'est un contexte dans lequel un crime est perpétré. La victime peut par exemple porter plainte pour voie de fait simple (crachat ou légère bousculade), qui compte pour 23 points, voies de fait armées ou causant des lésions corporelles, qui équivalent à 77 points, ou voies de fait graves, qui valent 405 points. Mais aussi pour agression sexuelle (entre 200 et 1000 points) ou tentative de meurtre (1400 points).

«Le pointage n'est pas parfait, mais c'est ce qui existe de mieux en ce moment. Et comme c'est basé sur la jurisprudence, ça reflète nos priorités et nos valeurs en tant que société», croit le chercheur Rémi Boivin.