Les résidants du 780, rue Saint-Rémi, dans le quartier Saint-Henri de l'arrondissement Le Sud-Ouest, à Montréal, ont fait leurs derniers adieux à leurs appartements, hier. Après des années de batailles et de négociations, le grand chantier du nouvel échangeur Turcot aura finalement eu raison d'eux.

Depuis bientôt sept ans, les locataires de ces lofts tentaient de sauver l'immeuble qui, selon les plans du ministère des Transports du Québec (MTQ), doit être démoli pour céder la place à l'échangeur, ramené au niveau du sol. En vain.

Depuis l'immense stationnement déserté, hier après-midi, l'imposant édifice revêtu de briques rouges semblait déjà vide. Seul entre les cônes orange et les bretelles de l'autoroute 720. Abandonné par la centaine de locataires qui se sont pourtant battus pour sa survie.

Au deuxième étage, auquel on accède par une cage d'escalier bétonnée sans couleur ni décoration, la lumière du jour s'infiltrait dans le corridor par la porte ouverte d'un logement. La pièce était vide, sans aucune trace de la vie qui devait y régner jusqu'à tout récemment. Puis, apercevant La Presse, Andrew Kolakowski s'est présenté, visiblement ému de quitter l'endroit.

«On avait tout pour nous ici. L'accès à l'autoroute était facile, nous avions accès à un grand jardin et, surtout, le loyer était abordable. Pour près de 500$, tout compris, on pouvait vivre en paix», a-t-il dit d'une voix trahissant son découragement et sa colère.

En ce 1er juillet, festival des déménagements dans la métropole, l'homme d'origine polonaise a quitté ses quartiers contre son gré. Son nouvel appartement, qui est situé tout près d'une station de métro, se console-t-il, lui coûtera 900$ par mois. Une hausse soudaine du coût de la vie avec laquelle il doit composer.

Un peu plus loin dans le long corridor sans fenêtres de l'immeuble construit en 1922 (il abritait à l'époque les quartiers généraux de l'Imperial Tobacco Company of Canada), une deuxième porte s'est ouverte.

La lumière chaude du soleil de juillet frappait de plein fouet les fenêtres hautes de 15 pieds de ce loft entièrement aménagé. Le locataire, qui terminait de réunir ses affaires personnelles, a expliqué l'hostilité implacable qu'il vouait envers le MTQ.

«Tout ce que tu vois ici, c'est moi qui l'ai construit. En quittant mon loft, je perds 16 ans de ma vie. J'aimerais bien être dédommagé, mais on ne nous offre presque rien. Le gouvernement a été présent juste pour fuck up our life», a dit Tasso Klavdianos, contenant difficilement sa colère.

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Tasso Klavdianos

Promesse de nouveaux lofts

Amers, les résidants quittent des lofts dont certains offrent une vue imprenable sur le centre-ville de Montréal. Mais un projet se prépare, a expliqué le plus ancien des locataires de l'immeuble, Michel Charbonneau, rencontré dans son logement au troisième étage.

«La bataille a été tellement longue. On nous disait parfois qu'on pouvait garder nos logements, puis le Ministère changeait d'idée. On a finalement reçu la lettre finale d'éviction en avril dernier. Maintenant, on sait qu'un projet se prépare pour qu'on puisse être relogés dans quelques années dans des locaux sur la rue Ottawa. On ose y croire», a expliqué celui qui a longtemps été concierge au 780, rue Saint-Rémi.

Le projet en question, piloté par l'entreprise d'économie sociale Bâtir son quartier, vise à offrir aux locataires évincés un loft dans un nouvel aménagement préparé sur le site de l'ancien centre de tri postal à l'angle des rues Guy et Ottawa, toujours dans Saint-Henri.

«Ça fait huit ans qu'on nous promet d'être relogés, mais ça n'arrive jamais. Il faut aussi considérer le coût d'un déménagement. Ce n'est pas donné», a dit Lorraine Élément, conjointe de M. Charbonneau. Le couple, ensemble depuis 22 ans, a vécu plus de 16 ans dans ce loft qu'il quitte à contrecoeur.

Assis autour de la table de cuisine, le seul meuble toujours présent pour occuper le premier étage de leur loft avec mezzanine, les deux amoureux ont profité d'une pause dîner pour se remémorer de bons souvenirs.

«Quand tu t'assoyais sur le sofa, là-bas, près des fenêtres, les grandes feuilles de la plante cascadaient au-dessus de ta tête. C'était comme écouter la télévision dans la jungle», s'est rappelé M. Charbonneau, fier des dizaines de plantes, toutes d'une taille supérieure à un mètre, qui transforment son salon en oasis de fraîcheur.

«Mes plantes, sais-tu où elles iront, dans quelques minutes?», a-t-il demandé en fin d'entrevue, sans donner plus de détails.

La réponse à sa question se trouvait à la sortie de l'immeuble, placée de façon bien évidente, près du stationnement...

Dans le conteneur à déchets.

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Lorraine Elemente et son conjoint Michel Charbonneau.