Ils sont jeunes, mobiles, très présents au centre-ville de Montréal et ultra-violents. Dans le cadre d'une refonte complète de son approche par rapport à la prostitution, la police de Montréal a ciblé un petit groupe de 60 proxénètes à qui elle veut s'attaquer pour protéger les travailleuses du sexe et la population en général, révèle une étude interne obtenue par La Presse.

L'étude a été réalisée par Mathieu Charest, docteur en criminologie, qui travaille au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Il a étudié les dossiers des 524 hommes arrêtés pour proxénétisme à Montréal entre 1993 et 2010. Premier constat: «une très faible proportion des proxénètes génère une large part des agressions déclarées».

Petit groupe violent

Sur les 524 suspects arrêtés, 289 avaient des antécédents de violence. Ensemble, ces 289 individus avaient fait 1386 victimes de violence, soit une moyenne de presque 5 victimes par proxénète. Dans l'ensemble, les proxénètes s'en prennent presque autant à des hommes qu'à des femmes, et pas seulement à des prostituées.

Mais un petit groupe ressort du lot: ces 60 délinquants (11% des proxénètes) sont responsables à eux seuls de 59% des agressions sur des femmes, soit près de 500 actes de violence qui ont été déclarés à la police. Or, les statistiques montrent qu'à peine 26% des agressions contre des femmes sont déclarées aux policiers.

«Les plus violents sont en fait significativement plus jeunes que les autres», remarque le chercheur. Ils sont aussi davantage impliqués dans la délinquance en général. Ils sont deux fois plus nombreux à s'investir dans le trafic de drogue, et la majorité d'entre eux (53%) est liée aux gangs de rue - contre 24% pour l'ensemble des proxénètes. Ils sont aussi quatre fois plus nombreux à fréquenter le centre-ville de Montréal.

«Nos analyses suggèrent qu'une vaste part de ces agressions sont l'oeuvre d'un petit groupe d'individus particulièrement violents sur lesquels les policiers pourraient concentrer leurs interventions répressives», suggère le chercheur.

C'est cette voie que suit le SPVM dans son plan d'action triennal sur la prostitution et la traite des personnes, qui a été dévoilé lundi. Plutôt que de multiplier les arrestations de travailleuses du sexe, comme c'était le cas à une autre époque, le plan met complètement l'accent sur la lutte contre les proxénètes et sur l'aide aux prostituées.

De l'esclavagisme

La réflexion du SPVM a été alimentée en décembre dernier par l'arrêt Bedford de la Cour suprême, qui a invalidé trois articles de loi sur le proxénétisme, la sollicitation et la tenue de maisons de débauche. La cour a donné un an au gouvernement canadien pour modifier ces articles, qui exposaient des femmes vulnérables à la violence.

«Chez nous, le changement était déjà amorcé, et l'arrêt Bedford est venu le confirmer, explique le sergent-détective Dominic Monchamp. On veut s'assurer qu'on n'est pas partie prenante de la victimisation de ces femmes-là. On veut qu'elles soient à l'aise de venir nous voir. Les policiers sont là pour assurer la sécurité de la population, y compris ces personnes-là», dit-il.

«Il y a des cas où c'est carrément de l'esclavagisme, des femmes qui sont forcées de se prostituer avec plusieurs hommes chaque jour, qui sont battues et séquestrées», constate le sergent-détective Monchamp.

Le SPVM a commencé à rencontrer ses employés pour les sensibiliser au phénomène. «Le grand message, c'est qu'on voit ces gens-là comme des victimes. Il faut qu'elles arrêtent de se dire qu'elles vont être victimes de jugements ou de préjugés si elles vont voir un policier», dit l'inspectrice-chef Johanne Paquin, responsable du dossier.

Pour pourchasser les proxénètes, le SPVM veut regrouper tous les policiers experts en la matière. Entre 2006 et 2012, les arrestations pour proxénétisme ont diminué de 63%, sans qu'on note nécessairement une baisse de l'offre, révèlent des chiffres exclusifs obtenus par La Presse.

«Nous avons constaté qu'il y avait certaines lacunes dans notre intervention, ce qui nous a amenés à privilégier la formation d'une Escouade métropolitaine mixte», explique Johanne Paquin. L'escouade regrouperait des agents du SPVM, de la Sûreté du Québec et des corps policiers de Longueuil et Laval. Des négociations sont en cours avec différents ministères pour obtenir le financement nécessaire à cette escouade.

Le plan d'action du SPVM propose aussi la création d'un centre pour les victimes de proxénétisme regroupant sous le même toit une foule de services actuellement éparpillés, la mise sur pied d'une ligne téléphonique à l'intention des victimes ou des témoins et l'ajout de ressources psychosociales sur le terrain.