Dimanche, Louise Harel a tout perdu: ses élections et son parti, Vision Montréal. Elle a rencontré notre journaliste Michèle Ouimet deux jours après sa défaite. Elle lui a parlé à coeur ouvert, sans masque ni formules toutes faites. Testament d'une femme que la politique a abandonnée.

La première défaite, en 2009

«Je n'avais jamais subi de défaite de toute ma vie», dit Louise Harel.

Elle a encaissé sa première défaite en 2009. À 63 ans. Une défaite dure, amère. Elle a été battue par Gérald Tremblay, qui a été réélu en dépit des nombreux scandales qui s'étaient abattus sur son administration.

Elle a subi sa deuxième défaite quatre ans plus tard, à 67 ans, une défaite encore plus brutale, car elle a tout perdu: ses élections, son poste de chef de l'opposition et son parti, Vision Montréal. Balayée de la scène municipale. Dans quelques jours, elle va faire ses boîtes et quitter l'hôtel de ville pour toujours. Elle n'est pas prête.

Louise Harel n'avait jamais perdu. En cinquième année du primaire, elle a été élue présidente de sa classe. Au collège Sainte-Marie, même scénario: élue haut la main. À l'université, elle a réussi à se hisser à la tête de la puissante Union générale des étudiants du Québec, qui regroupait toutes les universités. Lorsqu'elle s'est lancée en politique provinciale, elle a connu le même succès: sept fois candidate, sept fois élue. Un parcours sans faute.

Louise Harel s'était forgé une réputation de politicienne rusée, machiavélique, une femme à l'instinct infaillible.

Avant de se lancer en politique municipale en 2009, elle a eu un doute. «Je me suis demandé: "Si je perds, vais-je être capable, à l'âge que j'ai, d'accepter la défaite?" »

Un doute prémonitoire.

L'instinct qui tue

Cet instinct dont elle est si fière l'a trahie pour la première fois en 2009 lorsqu'elle a décidé de se lancer dans la course à la mairie de Montréal. Elle a pris sa décision à la dernière minute, quatre mois avant le scrutin. Elle s'est alliée au chef de Vision Montréal, Benoit Labonté, un fédéraliste. Louise Harel était convaincue que l'alliance d'une souverainiste avec un fédéraliste ferait un malheur. C'est son instinct qui le lui disait, cet instinct légendaire qui ne l'avait jamais trompée.

«Mais Benoit Labonté m'a trahie», dit Louise Harel.

Elle fixe ses mains. La blessure est encore vive: la trahison, son instinct qui lui a fait défaut. Quatre ans plus tard, elle n'en revient toujours pas.

Au lendemain de la défaite de 2009, Louise Harel doute de tout. Elle décide de consulter une psychologue. «J'avais besoin de prendre une distance avec ces événements douloureux. Je ne comprenais pas comment j'avais pu me laisser berner par Benoit Labonté, moi qui avais toujours eu un instinct infaillible. Comment j'avais pu me faire avoir. Ça m'a ébranlée. Même aujourd'hui, c'est un questionnement.»

Elle lève la tête et me regarde. Ses cheveux blancs forment une couronne aérienne autour de sa tête. Son rouge à lèvres est trop rouge. Pour la photo, elle a emprunté du maquillage à son ancienne chef de cabinet, Soraya Martinez. Mme Harel est arrivée 15 minutes en retard à notre rendez-vous, emmitouflée dans un long chandail. Accrochée à son bras, une immense sacoche où s'égare son iPhone.

La trahison de Benoit Labonté est arrivée comme un coup de tonnerre deux semaines avant le scrutin. C'était un dimanche, Louise Harel s'était levée tôt. Elle était chez elle, la télévision allumée. Elle l'écoutait d'une oreille distraite. Puis elle a entendu les mots qui allaient faire basculer sa campagne. Benoit Labonté avait parlé six fois à Tony Accurso. L'entrepreneur par qui les scandales arrivent avait financé sa course à la direction de Vision Montréal en 2008. Pourtant, Labonté avait juré à Louise Harel qu'il ne connaissait pas Accurso.

«J'ai appelé Benoit et je lui ai dit: "Ou tu vas au studio de télé et tu démens tout, ou tu démissionnes." Il m'a dit: "Je démissionne."»

Louise Harel était sous le choc. Elle a mis ses deux mains sur le comptoir de la cuisine, elle a baissé la tête, puis elle s'est dit: «On va perdre.»

Cette fois-là, son instinct ne l'a pas trompée: elle a perdu.

La défaite de 2013

Encore une fois, Louise Harel décide d'unir ses forces avec un fédéraliste, Marcel Côté. Et encore une fois, elle croit qu'elle va gagner.

En 2009, elle était la vedette. En 2013, le rapport de force s'inverse, Marcel Côté est la vedette et Louise Harel, qui joue un rôle secondaire, est confinée dans les rideaux.

Dans le documentaire d'André Saint-Pierre diffusé à l'émission de Marie-France Bazzo, Marcel Côté et son équipe discutent du lancement de sa campagne, qui doit avoir lieu le 3 juillet.

Soraya Martinez demande: «Est-ce que Louise [Harel] est là, le 3?»

Marcel Côté répond: «C'est préférable qu'elle soit pas là.»

Soraya Martinez insiste: «Peut-être qu'elle peut être là, mais pas en avant?»

La réponse de Côté est claire: «Elle sera pas en avant, c'est clair qu'elle sera pas en avant.»

Par contre, il insiste pour que la comédienne Caroline Néron monte sur la scène.

Louise Harel assistera au lancement, assise sur le bout d'une chaise droite dans le fond de la salle.

Pendant quatre ans, elle a tenu son parti à bout de bras. M. Côté, qui arrive à la dernière minute comme un cheveu sur la soupe, occupe toute la place.

«Avez-vous été tassée?»

«C'est plus compliqué que ça», répond-elle.

Le 30 août, la décision du Directeur général des élections tombe: la loi ne permet pas la coalition de partis politiques. Vision doit donc se retirer au profit de Coalition Montréal.

«À partir de ce moment-là, dit Louise Harel, j'ai été effacée.»

Effacée ou non, la campagne ne lève pas.

«Comment avez-vous vécu cet effacement?»

Elle réfléchit en jouant avec un crayon, puis elle dit: «Je n'ai pas d'amertume, mais un regret. Si je n'avais pas été effacée, on aurait mieux réussi. Les gens m'arrêtaient dans la rue et ils me demandaient pourquoi je ne me présentais pas.»

Le soir des élections, elle était convaincue qu'elle allait gagner dans son district, mais elle s'est fait battre. Elle avait pourtant été députée et ministre et avait régné sur l'est de Montréal pendant quelques décennies. Encore une fois, son instinct l'a trompée.

C'est son petit-fils de 16 ans, Julien, qui l'a consolée. Il lui a dit: «Grand-maman, c'est ingrat la politique, mais dis-toi que tu vas pouvoir passer plus de temps avec tes petits-enfants.»

«C'était une défaite crève-coeur, dit Louise Harel.

 - Qu'est-ce qui n'a pas marché?

 - M. Côté avait toutes les qualités pour être maire, mais pas celles qu'il faut pour se battre. Ce n'était pas dans sa culture.»

Quand je l'ai rencontrée, elle revenait d'un dîner avec des bénévoles. Six femmes qui l'ont beaucoup aidée. Elles lui ont donné un bouquet de fleurs. Pour la première fois depuis dimanche, elle a pleuré.

L'avenir

Son image de matante et de grand-mère lui a peut-être nui. «Je ne représente pas la nouveauté. J'ai été au métro Frontenac à 7h du matin pour rencontrer des électeurs. Je me suis rendu compte que les jeunes hommes dans la trentaine m'échappaient complètement.»

Regrette-t-elle de s'être lancée en politique municipale?

Louise Harel hésite. Elle se tait, un long silence suivi d'un soupir. «J'espère ne pas en avoir, je me sonde. Je ne le sais pas encore.»

Elle veut enseigner et écrire un livre sur les règles non écrites en politique. Et suivre des cours d'anglais. Encore. «Je me promets d'être bilingue d'ici la fin de ma vie», dit-elle en riant.

Et la politique?

Elle ne répond pas. Elle doit se demander qui voudra d'une femme qui a perdu son instinct.