Quatre jeunes hommes dans la vingtaine, qui ont tous travaillé au Stock Bar, dans le quartier gai de Montréal, sont morts subitement au cours de la dernière année. La Presse a enquêté sur la mort de ces quatre danseurs, qui partageaient un point commun: un style de vie effréné où la course à une image corporelle parfaite jouait un rôle prépondérant.

Pierre-Alexandre Charette, 27 ans, est le premier de quatre danseurs du Stock Bar à avoir perdu la vie au cours de la dernière année. Le jeune homme est mort à l'hôpital de Saint-Eustache le 21 août 2012 d'un arrêt cardiaque. Ses reins ne fonctionnaient également plus.

Un an plus tard, les proches de Pierre-Alexandre sont encore atterrés. Et quand La Presse leur a appris que trois autres jeunes hommes ayant travaillé au Stock étaient morts dans la dernière année, tous ont été renversés. "Ça m'a coupé le souffle. Je les vois comme des victimes. Ça me fait tellement mal!», dit la mère de Pierre-Alexandre, Rita Charbonneau.

Pierre-Alexandre, qui se faisait appeler Sean quand il travaillait, dansait au Stock depuis 10 ans. Au fil des ans, la pression pour conserver un corps d'Adonis montait. Pour entretenir son corps d'athlète, Pierre-Alexandre consommait des stéroïdes. Et plusieurs autres substances.

Selon Mme Charbonneau, Pierre-Alexandre contrôlait strictement son alimentation. «Il mangeait des steaks de cheval. Il pesait tout. Il fallait qu'il soit cute pour bien paraître», dit-elle.

«Il avait beaucoup de pression de ses patrons pour être toujours plus en shape», affirme sa soeur, Marie-Soleil Charbonneau.

La Presse s'est rendue au Stock Bar un mardi soir du mois d'août. Plusieurs danseurs grillaient une cigarette à l'extérieur du bâtiment. Quelques-uns ont avoué être pris dans «un cercle vicieux». «Ici, c'est bienvenue en enfer! Tu fais trop d'argent. Plus tu en fais, plus tu en veux. Plus tu es cute, plus tu fais d'argent. Tu t'achètes du juice [des stéroïdes] pour être plus cute. Mais ça coûte cher. Tu danses plus. C'est un cercle qui finit jamais», a expliqué un danseur, qui a préféré garder l'anonymat.

Le propriétaire du Stock Bar, Steven Bortugno, explique que les clients de son établissement «veulent voir de beaux corps». «Oui, tu as une certaine pression de rester beau et en forme. Mais ça fait partie du métier», commente-t-il.

Enquête approfondie

Sunny Deblois, 22 ans, est mort subitement le 8 mars à Longueuil. Le jeune homme originaire de Saint-Georges de Beauce mangeait chez son ami après une soirée mouvementée quand il est tombé face première dans sa nourriture.

Plusieurs substances ont été retrouvées dans son sang. Le coroner Jacques Ramsay, qui enquête sur cette mort, s'apprêtait à conclure à une mort par «effet cumulatif de toutes les médications qu'il avait prises». Car M. Deblois consommait entre autres des antidépresseurs et des opiacés pour soulager la douleur liée à une luxation à une épaule.

Mais le coroner Ramsay a décidé de pousser son investigation plus loin quand il a appris par La Presse que M. Deblois était le deuxième de quatre danseurs du Stock morts au cours de la dernière année. Le coroner Ramsay a mené de nouvelles analyses de sang, dont les résultats sont toujours attendus.

Sunny Deblois a dansé sous le nom de Michael au Stock et dans un établissement semblable, le Campus, de 2008 à 2011. Deux collègues rencontrés au Stock Bar estiment que Sunny est mort à cause du juice. «Il prenait des stéroïdes», a traduit un ancien collègue de Sunny. «Et bien d'autres affaires», a ajouté un autre.

Un champion de culturisme

Le 15 mai 2013, c'était au tour de Louis-Philippe Nadeau, 21 ans, de perdre la vie. M. Nadeau est mort d'un arrêt cardiaque. Louis-Philippe Nadeau, qui dansait sous le nom de Luis, travaillait occasionnellement au Stock Bar depuis décembre 2012. Il était un adepte du culturisme, comme le démontrent les nombreuses photos de lui participant à des compétitions sur sa page Facebook. À la Coupe Espoir Québec de culturisme de 2012, M. Nadeau avait terminé premier de la catégorie «Heavyweight Junior».

Selon un athlète du milieu du culturisme québécois, Louis-Philippe était reconnu comme étant un grand consommateur de stéroïdes. «Mais il les prenait en continu. Ce n'est pas surprenant si son corps a pété au fret», explique Jason (nom fictif).

La responsable des communications de l'Association québécoise des médecins sportifs, Alexandra Bwengue, ne peut commenter directement la mort de ces jeunes hommes. Mais elle confirme que les stéroïdes ont des effets indirects sur le coeur. «Ils font augmenter le mauvais cholestérol et la pression artérielle, soit deux facteurs de risque de crises cardiaques», dit-elle.

Le dernier danseur du Stock à avoir perdu la vie est Steeven Grenier, 24 ans. Le jeune homme de Terrebonne, qui a dansé sous le surnom de Steev Gold pendant plusieurs années avant de se retirer en 2012, a été retrouvé pendu dans un boisé près de Saint-Jérôme.

Ses parents, Nicole Dubord et Alain Grenier, ont été choqués par cette mort. «Steeven était un gars souriant. Toujours de bonne humeur», raconte Mme Dubord, qui reconnaît que son fils «s'entraînait beaucoup». Il prenait notamment beaucoup de protéines liquides. Mais selon Mme Dubord, son fils ne consommait pas de stéroïdes.

«Il était tanné des bars. Il voulait commencer son cours de pompier. Il venait de s'acheter une nouvelle moto. Je ne peux pas croire qu'il se soit enlevé la vie comme ça», raconte Mme Dubord. Une enquête du coroner a été ouverte sur la mort de M. Grenier.

Le Stock décline toute responsabilité

M. Bortugno est au courant des quatre morts survenues au cours de la dernière année. Mais selon lui, son établissement n'a aucun lien avec ces événements. «Certains des gars ne travaillaient plus ici depuis plus d'un an», dit-il.

M. Bortugno assure que le Stock renvoie les danseurs qui sont pris à consommer de l'alcool ou de la drogue. «Le seul lien qui unit ces garçons, c'est qu'ils étaient jeunes et qu'ils faisaient beaucoup d'argent», affirme M. Bortugno, tout en reconnaissant que les danseurs du Stock ont un certain «style de vie» commun.

«Les gars font beaucoup d'argent. Ils peuvent faire de 3000$ à 5000$ par jour. Ils sont jeunes. Pas toujours matures. Ils ne savent pas toujours comment gérer ça. On leur donne des avis. Mais ils ne sont ici que deux à trois jours par semaine. Ce sont des adultes», indique M. Bortugno.

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Les danseurs qui ont perdu la vie

21 août 2012

Nom du défunt: Pierre-Alexandre Charette

Nom de danseur: Sean

Âge lors de la mort: 27 ans

Lieu de la mort: Saint-Eustache

Cause apparente: arrêt cardiaque

8 mars 2013

Nom du défunt: Sunny Deblois

Nom de danseur: Michael

Âge lors de la mort: 22 ans

Lieu de la mort: Longueuil

Cause apparente: subitement, à cause des effets cumulatifs de toutes les substances qu'il consommait.

15 mai 2013

Nom du défunt: Louis-Philippe Nadeau

Nom de danseur: Luis

Âge lors de la mort: 21 ans

Lieu de la mort: Montréal

Cause apparente: arrêt cardiaque

8 juillet 2013

Nom du défunt: Steeven Grenier

Nom de danseur: Steev Gold

Âge lors de la mort: 24 ans

Lieu de la mort: Saint-Jérôme