A priori, tout les sépare. Mindy Pollack est très religieuse. Leila Marshi, pas du tout. Mindy travaille dans un salon de beauté, Leila dans le milieu de l'édition. Mindy a 24 ans. Leila, 50. Enfin, Mindy est juive hassidique, alors que Leila est d'origine palestinienne.

Il a fallu que ça barde à Outremont pour que ces deux femmes - vivant par ailleurs à trois portes l'une de l'autre - décident d'unir leurs forces. Il y a deux ans, elles ont fondé Les Amis de la rue Hutchison, un groupe citoyen visant à rétablir les ponts dans le voisinage.

Rappelons que le quartier vit depuis quelques années sous tension. Frappée de nombreux interdits municipaux encadrant leur pratique religieuse, la communauté orthodoxe se dit victime de cabale politique, voire de harcèlement. L'acharnement de certains résidants n'a fait qu'envenimer les choses. En 2012, il y a carrément eu des affrontements entre des hassidim et la conseillère indépendante Céline Forget, qui semble avoir fait du «dossier juif» une affaire personnelle.

«Il fallait équilibrer les choses, parce qu'on n'entendait que les voix négatives», lance Leila, une militante de longue date qui a longtemps travaillé pour la cause palestinienne au Moyen-Orient. «Alors, nous avons créé une zone où deux groupes très différents peuvent se parler sans se sentir menacés.»

Cela a commencé tout petit, par la distribution de dépliants dans les boîtes aux lettres. Mais depuis un an, Les Amis de la rue Hutchison sont en train de s'imposer comme une présence vitale dans le quartier.

La page Facebook du groupe continue de récolter des appuis. Le site a d'abord interpellé des Québécois avides de comprendre la complexité hassidique, mais il attire maintenant de plus en plus de juifs orthodoxes, qui s'en servent pour poser des questions et partager leurs propres problèmes. Les deux communautés ne dansent peut-être pas encore Hava Naguila ensemble, mais au moins, le dialogue s'est installé.

«Je crois que le plus gros changement vient de notre côté, avance Mindy, dans un français parfait. Ç'a été tellement bien reçu que les leaders de la communauté nous ont contactés. Des jeunes aussi. On discute des enjeux avec eux. Et ils sont de plus en plus nombreux à faire entendre notre voix dans les séances du conseil.»

Un comité interculturel

Autre conséquence tangible: Leila et Mindy ont été conviées par l'arrondissement à faire partie d'un tout nouveau comité interculturel spécialement dédié à la question juive, dans lequel on retrouve une dizaine de professionnels de tous horizons. Aucun résultat concret pour le moment, si ce n'est l'apparence d'une plus grande ouverture à l'hôtel de ville d'Outremont.

Les deux femmes insistent toutefois: ce comité n'a rien à voir avec Les Amis de la rue Hutchison, qui préfèrent s'en tenir au bon voisinage. C'est dans cet esprit, d'ailleurs, que leur groupe organisait hier après-midi, à la bibliothèque du Mile End, une journée d'échanges pour les habitants du quartier, orthodoxes et Québécois inclus. Une occasion en or, croient-elles, de dissiper les malentendus et de dépasser les éternels tiraillements entre les deux communautés.

Selon Mindy, les hassidim sont de «plus en plus conscients» du rôle qu'ils ont à jouer dans la vie municipale. Un pas de plus, espérons-le, vers leur engagement dans la sphère politique.

«Il n'y a aucun autre endroit sur Terre où des règlements visent spécifiquement les juifs hassidiques, déplore Leila. Je ne partage peut-être pas leurs valeurs, mais je trouve ça triste. Si on n'est pas capables de trouver un terrain d'entente ici, où la situation est beaucoup moins tendue qu'au Moyen-Orient, alors où est-ce qu'on pourra le faire? Personnellement, je pense que les gens sont tannés de ce conflit. Ils veulent le régler d'une autre manière. Le temps est venu d'aller dans cette direction.»