La tour de condos de 14 étages que devait habiter l'ex-maire Gilles Vaillancourt, à Laval, a été construite en infraction des règlements de zonage, selon une enquête de La Presse. Les manquements sont tels que les citoyens voisins sont en droit de demander sa démolition.

En novembre 2008, l'administration Vaillancourt a délivré un permis au promoteur E. Khoury Construction permettant la construction d'un immeuble de 14 étages dans la rue des Cageux, près de l'île Paton. Or, après avoir épluché tous les documents concernant le terrain, La Presse constate qu'encore aujourd'hui, seuls des immeubles de huit étages sont autorisés dans ce secteur et qu'aucun règlement n'a été adopté pour changer ce zonage.

La tour de condos, rappelons-le, a reçu la visite des enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ) en octobre dernier. On a alors perquisitionné dans l'appartement-terrasse de l'ex-maire, situé au sommet de la tour. C'est pendant cette perquisition que la cousine du maire, Ginette Vaillancourt, a tenté de se débarrasser de billets de banque dans sa toilette. Ces billets lui avaient été donnés par la femme de Gilles Vaillancourt, Francine, a-t-elle déclaré aux policiers.

Selon nos informations, la SQ étudie l'hypothèse d'un avantage donné en échange de la construction d'un immeuble plus haut.

L'avocat Pierre-Yves Trudel, du cabinet Archambault Adel Trudel, est l'un des experts des questions de zonage au Québec. Pour contourner la limite de hauteur, convient M. Trudel, la Ville a mêlé deux types de règlements.

Elle a d'abord retranché le lot d'une zone plus vaste qui limitait le nombre d'étages à huit. La nouvelle zone pour le lot n'a plus de maximum. Or, ce dézonage pour un projet spécifique (spot zoning) est interdit au Québec, expliquent deux avocats, dont Me Trudel. De toute façon, un tel changement de zonage doit être proposé aux citoyens, ce qui n'a pas été fait.

Deuxième subterfuge: la Ville a soumis la nouvelle zone à un Plan d'implantation et d'intégration architecturale (PIIA). Un tel plan donne une certaine discrétion à la Ville en matière architecturale. Toutefois, cette procédure prévue dans la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme ne permet pas de contourner les exigences de zonage, comme la hauteur.

«Sur cet aspect, le droit est clair. Il n'est absolument pas permis à une municipalité de se servir du PIIA pour construire au-delà de la hauteur permise par le zonage. Le PIIA peut permettre à la Ville de diminuer la hauteur pour respecter le secteur, pas de l'augmenter», dit Me Trudel.

Deux autres avocats questionnés par La Presse disent la même chose.

De plus, en 2005, le juge Jean-Louis Crête, de la Cour supérieure, a été clair dans une décision concernant la Ville de Longueuil. «La discrétion accordée à un conseil municipal, en vertu d'un règlement sur les PIIA, ne peut être exercée de manière à contourner les dispositions d'un règlement de zonage.»

Le règlement bancal qui a permis de construire la tour, baptisée Parc Regency, a été adopté le 4 octobre 2004. Ce règlement L-2001-2843 est signé par Gilles Vaillancourt et son bras droit, Basile Angelopoulos.

Le règlement traite du nombre de places de stationnement, de l'enfouissement des fils électriques et du PIIA. Un seul des 15 critères du PIIA porte sur la hauteur. Ce critère est «d'harmoniser la hauteur du bâtiment à celle des bâtiments voisins de manière à créer une ligne d'horizon régulière». Or, les bâtiments du voisinage sont des maisons unifamiliales et des immeubles de quatre à huit étages, beaucoup moins hauts que la tour.

Autrement dit, non seulement le règlement adopté est-il non conforme, mais le projet n'en respecte pas le critère «d'harmonisation de hauteur».

Le Regency de la rue des Cageux compte plusieurs propriétaires proches de l'administration Vaillancourt, dont le chef de police et un associé de la firme d'avocats de la Ville, Dunton Rainville.

Officiellement, Gilles Vaillancourt n'y a jamais détenu un condo. Au registre foncier, c'est le nom de sa cousine, Ginette Vaillancourt, qui figure pour celui qu'a perquisitionné la SQ.

Toutefois, des sources ont indiqué à La Presse avoir vu l'ex-maire Vaillancourt sur le chantier pour discuter des paramètres de son appartement-terrasse dès le début de 2010, soit plusieurs mois avant l'acte de vente officiel du condo, en septembre 2010. L'appartement, qui a une vue imprenable sur la rivière des Prairies, est réparti sur deux niveaux, soit les 14e et 15e étages (la tour n'a pas de 13e étage). Gilles Vaillancourt avait demandé et obtenu qu'on y installe un ascenseur. Sa cousine vient de mettre le condo en vente pour 1,4 million de dollars.

-Avec la collaboration de Frabrice de Pierrebourg

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Toujours plus haute

Entre 2004 et 2008, cinq versions de la tour, dont la hauteur est passée graduellement à 14 étages, ont été soumises à la Ville.

La première mouture du projet comportait dix étages, bien que le zonage en permettait huit. Elle a été acceptée par le comité exécutif de la Ville le 16 mars 2005 lors d'une séance à huis clos. Pour diverses raisons, le promoteur n'est pas allé de l'avant.

Un autre projet a été soumis en octobre 2006, modifié en mai 2007, puis en septembre 2007. Cette fois, la tour proposée faisait 12 étages. Le projet, soumis dans le cadre du PIIA, a été accepté par le comité exécutif en octobre 2007 lors d'une séance à huis clos.

Deux mois plus tard, en décembre 2007, une nouvelle modification a été demandée à la Ville, cette fois pour faire passer le projet à 14 étages. Ce nouveau projet a été accepté par le comité exécutif de la Ville le 30 janvier 2008. Encore une fois, la séance était à huis clos. Le permis a finalement été délivré en novembre 2008.

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Tout a été fait dans les règles, dit le promoteur

Le promoteur du Parc Regency, Élias Khoury, affirme que la tour a été construite conformément aux règlements. Son entreprise, E. Khoury Construction, est devenue copropriétaire du terrain à l'été 2007.

«Il n'y a rien qui a été construit illégalement. Et je n'étais pas propriétaire du terrain lorsque le changement de zonage a été fait», a essentiellement dit M. Khoury.

L'autre copropriétaire du terrain était Bedros Bakirtzian, médecin de l'arrondissement d'Ahuntsic, à Montréal, qui pratique dans l'État de New York. En 2004, M. Bakirtzian était l'unique propriétaire lorsque le terrain a fait l'objet du règlement L-2001-2843, sur lequel se sont appuyés Elias Khoury et la Ville pour le permis de construction de 2008.

C'est à partir de l'association Khoury-Barkitzian, en 2007, que le projet est passé de 10 à 12, puis à 14 étages en moins d'un an, alors que le zonage du terrain ne permet toujours que 8 étages.

Elias Khoury soutient que c'est son architecte Alex Rak qui a géré toutes ces questions avec la Ville. Joint au téléphone, M. Rak assure avoir respecté les conditions sévères d'implantation de la Ville. La hauteur de l'immeuble a augmenté, dit-il, pour prévoir trois niveaux d'espaces de stationnement. En 2007, les tests de sol s'étaient avérés désastreux pour la construction d'un stationnement souterrain, dit-il.

La Presse a eu des échanges de courriels pendant plusieurs semaines avec la Ville de Laval. La direction des communications nous confirme que le règlement L-2001-2843 est le seul qui vise le lot de l'immeuble pour la question de la hauteur. Elle n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi l'administration a accepté un projet de 14 étages alors qu'aucun règlement ne permet plus de 8 étages.