L'argent ne pousse peut-être pas dans les arbres, mais le pare-brise des automobilistes est devenu un terreau fertile pour la Ville de Montréal. Avec ses quotas imposés aux policiers et ses contraventions salées, la métropole est de loin la ville canadienne qui récolte les sommes les plus importantes grâce aux amendes.

Billets de stationnement, contraventions pour excès de vitesse ou pour un chien sans laisse: les vérifications de La Presse auprès des cinq villes canadiennes et des dix municipalités québécoises les plus populeuses permettent de constater qu'aucune autre administration municipale au pays n'a généré autant de revenus de cette façon.

Moitié moins à Toronto

La plus grande ville du Canada, Toronto, rapporte avoir distribué l'an dernier des contraventions totalisant 140 millions, toutes infractions confondues, pour une moyenne de 54$ par habitant, soit la moitié moins qu'à Montréal. Même scénario pour les quatre autres grandes villes canadiennes (Vancouver, Calgary, Edmonton et Ottawa), dont le total des amendes attribuées équivalait l'an dernier à une valeur de 28$ à 64$ par habitant.

L'écart est plus important encore avec les principales municipalités québécoises, qui sortent beaucoup moins souvent le carnet de constats d'infraction. À elle seule, Montréal a récolté en amendes deux fois plus de revenus que les neuf autres villes de plus de 100 000 habitants réunies. Et ce, même si leur population combinée dépasse celle de la métropole.

La Ville de Montréal souligne que les recettes tirées des contraventions représentent un peu moins de 4% de ses revenus totaux. «Elles sont aléatoires et sont sujettes à de nombreux facteurs, dont plusieurs sont hors du contrôle de la Ville», assure Gonzalo Nunez, porte-parole municipal. Il ajoute que «les constats d'infraction servent à faire respecter les lois et les règlements en vigueur, dont certains ont pour but de sauver des vies, comme dans le cas de la sécurité routière, et d'autres à promouvoir une meilleure qualité de vie pour tous».

Amendes salées

L'intérêt de Montréal pour les contraventions ne date pas d'hier. Dans ses budgets de 2007 et de 2008, la Ville se fixait comme objectif de récolter plus de 200 millions par année de cette façon. Bien qu'elle ait d'abord raté cette cible, la hausse du prix des contraventions - certaines ont triplé - lui a finalement permis d'atteindre son objectif en 2009, alors que 211 millions ont été récoltés en amendes. Depuis, la métropole affirme avoir récolté 186 millions en 2010 et autant en 2011.

Les vérifications de La Presse permettent de constater que les contraventions de stationnement distribuées à Montréal coûtent plus cher qu'ailleurs depuis 2009. Le prix à payer pour s'être stationné au mauvais endroit atteint 52$, contre 30$ à Toronto et 39$ à Québec.

Pas une surprise

La multiplication de ces billets comme source de financement n'étonne pas Mario Lefebvre, directeur du Centre des études municipales au Conference Board du Canada. La croissance des revenus a atteint ses limites avec les traditionnelles taxes municipales, de sorte que plusieurs administrations cherchent de nouvelles sources de revenus pour garnir leurs coffres, constate-t-il.

«On risque plus de voir d'autres villes augmenter le nombre d'amendes distribuées que de voir Montréal en donner moins. Ça peut leur donner une allure démoniaque, comme si les villes étaient toujours à guetter les erreurs de leurs citoyens, mais les budgets sont tellement durs à boucler que les villes n'ont pas le choix. Elles n'ont pas le droit au déficit», explique M. Lefebvre.

Alfredo Munoz, ancien policier au Service de police de la Ville de Montréal, s'indigne de voir la Ville utiliser les contraventions pour boucler son budget. «C'est une aberration profonde de l'utilisation de la justice et des lois, croit-il. On confond justice et économie, ce qu'on ne devrait jamais faire. On cherche à faire de l'argent en punissant l'erreur humaine.»

M. Munoz, qui a fondé l'entreprise S.O.S. Tickets pour aider les automobilistes à contester leurs contraventions, dénonce tout particulièrement les quotas imposés aux patrouilleurs. Selon lui, cette mesure ouvre la porte à des dérives. «On demande aux policiers de trouver des coupables. C'est dangereux.»