Avec la congestion qui envahit ses rues, les grands chantiers de construction qui s'installent pour des années, des réseaux de transports en commun bondés et pas d'argent pour augmenter les services, Montréal a-t-il les moyens de se passer des centaines de millions de dollars que pourraient lui rapporter des péages routiers, chaque année?

La réponse semble évidente. Pour l'ingénieur en circulation Ottavio Galella, partisan avoué du péage et président de la firme de consultants Trafix, la question est mal posée.

«Réduire le péage à une sorte de taxe, ça correspond à une vision dépassée qui date d'il y a 50 ans, explique l'ingénieur. Avec les possibilités offertes par la technologie, le péage dynamique est devenu une réponse moderne à la faillite d'une gestion des transports, axée sur les infrastructures.»

«Depuis les années 60, nous avons toujours répondu à l'augmentation de la demande automobile en construisant plus d'infrastructures. C'est un échec», conclut-il sans détour en prenant à témoin les conditions de circulation de plus en plus pénibles qui prévalent dans la métropole depuis deux ans.

Toronto, qui est aux prises avec des embouteillages permanents de ses autoroutes et de son centre-ville, commence à y songer, souligne-t-il. En février dernier, le Vancouver Sun révélait que le péage semble aussi la solution privilégiée par le gouvernement provincial de Colombie-Britannique, afin de financer les projets de l'agence Translink, responsable des transports collectifs dans la région de Vancouver.

«La question, dit M. Galella, serait plutôt de savoir si l'on peut se priver d'un outil de gestion de la circulation très puissant qui nous permettrait à la fois de générer des revenus et d'améliorer nos infrastructures, tout en diminuant la pollution et les risques d'accidents liés à la circulation.»

Péage métropolitain

«À Montréal, je pense que c'est devenu inévitable, renchérit David Hanna, professeur au Département des études urbaines et touristiques de l'UQAM. Le gouvernement du Québc n'a pas d'argent pour développer les transports en commun. Il est fauché. Et de toute façon, 80% de ses investissements dans les transports sont pour les routes. Son dernier budget l'a confirmé.»

«Pendant ce temps, ajoute-t-il, la métropole stagne. On perd constamment du terrain par rapport aux autres centres urbains de l'Amérique du Nord, qui sont nos compétiteurs, à cause du marasme quotidien de la congestion.»

Demain, dans le cadre des consultations publiques sur le financement des transports en commun organisées par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui regroupe les 82 municipalités de l'île de Montréal et des banlieues, le professeur Hanna proposera la création d'un réseau de péage métropolitain qui pourrait générer des recettes annuelles estimées à 1 milliard.

Le projet créerait une triple boucle de péage ceinturant le territoire métropolitain en utilisant 36 stations de «captage» du trafic. Chaque automobiliste recevrait une facture en fonction du nombre de kilomètres parcourus, et les recettes de ce péage seraient consacrées en parts égales au réseau routier et aux infrastructures de transports en commun.

Retour de la fluidité

Les consultations publiques de la CMM visent à identifier des pistes de solution pour combler un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars anticipé dans les prochaines années, pour financer le fonctionnement, l'entretien et le développement des réseaux de transports collectifs de la région de Montréal (voir encadré).

Selon un scénario de référence élaboré en préparation des consultations de la CMM, M. Galella a estimé qu'un tarif de 2,50$ par passage imposé sur les 16 ponts qui ceinturent l'île, en périodes de pointe, pourrait générer des revenus annuels de 400 millions, pour aider au financement de projets de transports en commun totalisant 23 milliardsdans les municipalités du territoire.

Le péage routier ne sera pas la seule avenue explorée durant les consultations de la CMM. Les taxes sur l'essence, sur les droits d'immatriculation des véhicules et sur la masse salariale, tout comme les recours à diverses formes de taxation foncière font toutes parties d'un éventail de sources possibles, expérimentées ici ou ailleurs dans le monde, qui seront étudiées.

Ces sources de financement peuvent générer des montants considérables, reconnaît Ottavio Galella. Par contre, aucune de ces sources n'est susceptible d'améliorer de manière sensible la fluidité de la circulation. Le recours aux péages, estime l'ingénieur, se traduirait à Montréal par une réduction rapide d'au moins 15% du volume de circulation, dans l'île.

David Hanna abonde dans le même sens.

«La réduction de la congestion est l'élément critique de la réflexion qu'il faut mettre de l'avant pour faire comprendre aux automobilistes que l'implantation d'un péage va aussi les favoriser», ajoute-t-il.

Si cela ne suffit pas à convaincre le grand public, M. Hanna estime qu'il sera toujours temps de crier au vol.

«Le gouvernement fédéral a déjà annoncé clairement ses intentions d'implanter des péages sur les ponts Champlain, Jacques-Cartier et Mercier. Si cet argent part pour Ottawa, je serais bien étonné qu'il nous revienne en totalité. Est-ce qu'on va les laisser faire, ou est-ce qu'on va intervenir afin de préserver ces revenus pour nos propres besoins?»

Les consultations publiques de la CMM débutent ce soir à Vaudreuil-Dorion.

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500 000 000 DÉPLACEMENTS PAR ANNÉE

En 2011, les Montréalais et les résidants des banlieues ont fait un total de 500 millions de déplacements dans les réseaux de transports en commun (TEC) de la région de Montréal pour aller travailler, étudier, voir un médecin, visiter la famille, magasiner, aller au cinéma, etc. Pour offrir ces services, 16 organismes et sociétés de transport ont fait rouler 4 lignes de métro, 5 lignes de train de banlieue et plus de 2400 autobus qui ont parcouru un total de 200 millions de kilomètres dans des tunnels, sur des rails et sur les routes afin de desservir plusieurs dizaines de gares, de stations et de terminus, dans un territoire qui s'étend sur 82 municipalités, de Vaudreuil-Dorion à L'Assomption et de Saint-Jérôme à Saint-Jean-sur-Richelieu. Plus de 11 000 personnes travaillent quotidiennement à assurer ces services dont les coûts annuels totalisent environ 1,9 milliard. Mise à part l'Agence métropolitaine de transport (AMT), dont 56% des revenus proviennent des taxes sur l'essence et les droits d'immatriculation, ce sont les usagers des transports en commun et les municipalités qui essuient la plus grande part de la facture: entre 66% et 76% des coûts annuels. Le solde est assumé, pour l'essentiel, par le gouvernement du Québec. Pendant la pointe du matin, dans la région de Montréal, une personne sur quatre (25%) se déplace en transports en commun. Dans son plan d'aménagement adopté en 2011, la Communauté métropolitaine de Montréal souhaite augmenter cette proportion à 30% d'ici 2031. Pour ce faire, elle prévoit la réalisation de nombreux projets d'entretien, de renouvellement du matériel roulant et de développement des réseaux qui totaliseraient près de 23 milliards (voir la liste ci-contre).

Note: Les pourcentages et sommes sont arrondis. Toutes les données sont pour 2011, sauf pour l'AQTIM (2010).

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Société de transport de Montréal (STM)

Budget 1,16 milliard

Provenance des revenus

Usagers 46,0%

Agglomération de Montréal (villes) 30,4%

Gouvernement du Québec (subventions) 12,8%

Contributions régionales 7,3%

Autres revenus d'exploitation 3,1%

Surplus reporté 0,4%

Nombre d'employés 9274

Les services

MÉTRO 4 lignes, 71 kilomètres de tunnels, 68 stations, 756 voitures, 77 millions de kilomètres parcourus

AUTOBUS 209 lignes, 1680 autobus, 101 kilomètres de voies réservées, 85 millions de kilomètres parcourus

Fréquentation (déplacements) 405 millions

Record

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Société de transport de Laval (STL)

Budget 105 millions

Provenance des revenus

Usagers 26%

Ville de Laval 47%

Gouvernement du Québec 12%

Contributions régionales 12%

Autres revenus

Nombre d'employés 722

Les Services

43 lignes, 248 autobus

15,6 millions de kilomètres parcourus

Fréquentation (déplacements) 20,1 millions

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Réseau de transport de Longueuil (RTL)

Budget 145 millions

Provenance des revenus

Usagers 31%

Agglomération de Longueuil 39%

Gouvernement du Québec 22%

Contributions régionales 5%

Autres revenus 3%

Nombre d'employés 1033

Les Services

88 lignes, 419 autobus

21 millions de kilomètres parcourus

Fréquentation (déplacements): 33,8 millions

Record

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Association québécoise du transport intermunicipal et municipal (AQTIM)

L'AQTIM regroupe 12 organismes locaux et régionaux de transports collectifs (CIT, OMIT et autres) offrant des services d'autobus dans les municipalités des couronnes de banlieue. Ce sont ces organismes qui présentent les hausses d'affluence les plus importantes dans la grande région de Montréal depuis plusieurs années.

Budget global (2010) des 12 organismes 182,1 millions

Provenance des revenus

Usagers 32%

Municipalités 34%

Gouvernement 26%

Aide métropolitaine 2,5%

Autres revenus 4,5%

Divers 0,3%

Les services sont confiés par contrat à des transporteurs privés.

Fréquentation (2010) 22,4 millions

En hausse constante

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Agence métropolitaine de transport (AMT)

Agence provinciale relevant du ministre des Transports du Québec. Elle est responsable des trains de banlieue et des autobus métropolitains. Elle assure également la planification des transports collectifs à l'échelle de la métropole et la gestion des «équipements métropolitains» comme les stationnements incitatifs et terminus régionaux, utilisés par les transporteurs.

Budget 281 millions

Provenance des revenus

Recettes des usagers 18,6%

Municipalités desservies 17,8%

Taxe sur l'essence (1,5 cent/litre) 36,5%

Droits d'immatriculation (30$/véhicule) 20,2%

Gouvernement du Québec (subventions) 2,5%

Autres revenus 4,3%

Nombre d'employés 340

Les services

5 lignes de trains de banlieue, 51 gares, 60 stationnements incitatifs (30 000 places), 1 ligne d'autobus métropolitain, 85 km de voies en mesures préférentielles pour autobus, 1 775 000 km parcourus

Fréquentation 18,2 millions(trains et autobus métropolitain)

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Projets de transports en commun prévus par la CMM dans le Plan métropolitain d'aménagement et de développement

1.Projets de «maintien et amélioration des actifs»

RÉSEAU DU MÉTRO

(remplacement des voitures, programmes Réno-Systèmes, etc.) 6,5 milliards

TRAINS DE BANLIEUE

(matériel roulant, centres d'entretien, garages, etc.) 1 milliard

RÉSEAU D'AUTOBUS

(entretien des infrastructures et renouvellement des autobus) 2,3 milliards

AUTRES PROJETS

(projets administratifs, services à la clientèle, etc.) 0,5 milliard

TOTAL 10,3 milliards

MAINTIEN ET AMÉLIORATION DES ACTIFS

2.Projets de développement

RÉSEAU DU MÉTRO

(prolongements du métro, matériel roulant additionnel) 6,5 milliards

TRAINS DE BANLIEUE

(train de l'Est, train de l'Ouest, planification métropolitaine) 2,1 milliards

RÉSEAUX TRAMWAY ET SLR

Réseau initial du tramway de Montréal 1,5 milliard

SLR (train léger Rive-Sud/Montréal dans l'axe du pont Champlain) 1 milliard

RÉSEAU D'AUTOBUS

(voies réservées sur Pie-IX, mesures préférentielles, achats d'autobus) 1,5 milliard

TOTAL 12,6 milliards

PROJETS DE DÉVELOPPEMENT

TOTAL 22,9 milliards

ENSEMBLE DES PROJETS

Source: CMM