Au cours des dernières années, une douzaine de bars montréalais se sont engagés à ne plus diffuser de musique rap, souvent pour échapper aux objections de la police qui craint la violence, révèle une compilation faite par La Presse. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dit n'intervenir que dans les cas problématiques et se défend d'imposer ses choix musicaux à la population. Mais les artistes du milieu, eux, en ont assez.

Une quarantaine d'artisans de la scène hip-hop montréalaise ont manifesté à ce sujet, mardi, devant le palais de justice de Montréal. C'est une récente décision de la Régie des alcools qui a mis le feu aux poudres. Le bar Le Pionnier, de Pointe-Claire, a dû s'engager à ne pas présenter de spectacles de hip-hop pour répondre aux inquiétudes de la police de Montréal et obtenir son permis d'alcool.

«Cette décision relève de la ségrégation pure et dure. C'est inacceptable [...]. On ne peut pas simplifier toute une culture en disant que le rap égale gangs de rue», a lancé l'artiste K-RIM.

«La Régie bafoue notre magnifique communauté, celle du hip-hop, qui permet à des jeunes de sortir des ghettos et d'apprendre à s'exprimer en public», a ajouté une autre artiste, MF Gold.

Le SPVM croit avoir été mal compris dans cette affaire.

«Nous avons fait part de nos inquiétudes au sujet d'un événement qui s'organisait dans l'établissement pour commémorer un membre de gang de rue. Nous avions des informations selon lesquelles il pourrait y avoir un danger. Quand la propriétaire a su ça, elle a volontairement décidé de mettre cette condition», explique le commandant Tony Iannantuoni.

Pas obligés d'écouter Elvis

«Le but, ce n'est pas d'obliger les gens à écouter Elvis ou une autre sorte de musique!, s'exclame M. Iannantuoni. On ne commencera pas à faire du profilage. Mais il peut arriver que, stratégiquement, quand il y a un problème précis, les propriétaires s'engagent à changer de musique pour convaincre la Régie», dit-il.

Avant de délivrer un permis d'alcool, la Régie est obligée de tenir compte des objections de la police. Par le passé, lorsque les policiers s'inquiétaient d'un historique de violence ou de la présence de gangs de rue friands de rap, plusieurs tenanciers se sont volontairement engagés à éliminer le hip-hop.

En parcourant les jugements publics de la Régie, La Presse a recensé 13 bars montréalais qui ont pris cet engagement depuis le début des années 2000.

Dans le cas du Club Parking, en 2011, c'est même le SPVM qui a préparé l'engagement volontaire signé par le tenancier relativement au hip-hop. Au défunt Medley, les contrats de location précisaient que «les exigences de la Régie nous empêchent de permettre la présentation de spectacles de type hip-hop».

En 2000, un policier témoignant devant la Régie a expliqué que «la musique de type hip-hop et reggae, de même que la présentation de spectacles de wet t-shirts, attirent cette clientèle hautement problématique».

En 2008, le propriétaire du bar Vision de LaSalle a été sermonné par les régisseurs pour avoir refusé de bannir le rap afin d'éloigner les gangs qui pullulaient chez lui. «La Régie aurait aimé entendre [...] qu'il était prêt à remettre en question le style de musique qui est joué au Vision», ont-ils écrit.

Sans nier les problèmes vécus dans certains bars, le directeur du Centre de recherche-action sur les relations raciales, Fo Niemi, croit que ces décisions briment la liberté d'expression. Présent à la manifestation, il a invité les artistes, les policiers et les propriétaires de bar à s'asseoir ensemble pour trouver des solutions «plus légitimes» aux problèmes de violence.

Bars s'étant engagés à bannir le rap

> Peel Pub (2000)

> Bar St-Laurent 2 (2002)

> La Movida Café (2004)

> Bain Mathieu (2006)

> Medley (2006)

> Vision (2008)

> Q-Zone (2008)

> Pub St-James (2008)

> Le National (2008)

> Club 1234 (2009)

> Le Loft (2010)

> Club Parking (2011)

> Le Pionnier (2012)

Certains bars peuvent avoir changé de politique depuis.