Les centaines de millions de dollars investis par Montréal pour réparer ses vieux égouts ont un effet indésirable: dans certains secteurs, les rats ont été plus visibles que jamais l'an dernier.

Cette constatation est partagée par la majorité des exterminateurs contactés par La Presse. «Des gens qui n'avaient jamais vu de rats dans les alentours vont soudainement être infestés après des travaux dans les égouts de leur secteur», rapporte Chantal Lessard, technicienne en gestion parasitaire chez Infestation Montréal. Elle estime avoir vu une hausse «de 10 à 15%» d'appels de dératisation l'an dernier, essentiellement au centre-ville, dans Notre-Dame-de-Grâce et Rosemont-La-Petite-Patrie.

Le constat est confirmé par l'arrondissement Ville-Marie. En 2011, on a enregistré 173 appels de citoyens qui ont aperçu un rat sur le domaine public, contre 119 l'année précédente - une hausse de 54%. «Évidemment, chez nous, il y a beaucoup de gros chantiers et de travaux immobiliers, explique Anik De Repentigny, porte-parole de l'arrondissement. Les rats, c'est connu, ne sortent que pour chercher de la nourriture, s'abriter ou parce que leur habitat est perturbé.»

Montréal investira plus de 1,5 milliard d'ici 10 ans pour la réfection de ses égouts, qui forment un réseau de plus de 7000 kilomètres, un des plus étendus au Canada. Les grands chantiers, comme le CHUM et le CUSM, forcent chaque fois la Ville à refaire les conduites aux alentours, laissant parfois les égouts à l'air libre pendant plusieurs jours. «Si j'enlève les murs d'une prison, les détenus vont chercher à s'échapper, illustre Steve Bilodeau, directeur des opérations à ABC Gestion parasitaire. Lorsque tu ouvres un égout, il y a de fortes chances que les rats en sortent.»

Une population stable

Les experts s'entendent, le nombre global de rats à Montréal est relativement stable d'une année à l'autre. On évoque souvent le chiffre de quatre millions de rats, environ deux par habitant, «ce qui est le ratio d'une ville bien tenue», précise Harold Leavy, dirigeant des Entreprises Maheu Extermination et sommité montréalaise dans ce domaine. Cette stabilité se reflète dans les interventions de dératisation demandées auprès de l'arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, qui offre ses services aux huit autres arrondissements de l'ex-Ville de Montréal. Les 347 demandes de dératisation reçues en 2011 correspondent grosso modo à la tendance annuelle, explique Maude Brasseur, porte-parole.

«Lorsque nous intervenons dans le réseau, nous exerçons une «pression» sur les rats qui peuvent chercher à sortir du réseau d'égouts. Une brèche dans un tuyau d'égout, un puisard rempli ou défectueux peuvent également leur permettre d'accéder à l'extérieur. L'hiver, la glace et la neige accumulées dans les puisards leur facilitent aussi l'accès à l'extérieur.»

Un immeuble désaffecté ou incendié dont les conduits d'égout sont à découvert, une réparation à ciel ouvert sur le réseau d'égout, une défectuosité du renvoi entre un bâtiment et le réseau d'égout peuvent également faciliter leur accès à l'extérieur, ajoute-t-elle.

Le fait marquant en 2011, c'est que certains secteurs semblent avoir été plus touchés que d'autres. Si les travaux dans le réseau d'égout sont souvent déclencheurs, ils doivent être combinés à d'autres facteurs pour que le problème devienne flagrant, estime Harold Leavy. «Là où ça se gâte, c'est quand le système d'égout est en mauvais état et que les déchets domestiques sont moins bien ramassés.»

Des herbes hautes, cachette idéale

L'abondance de nourriture - en particulier près des restaurants - attirera tout naturellement les rats. Les immeubles abandonnés, dont les égouts n'ont pas été bouchés, seront également un point de sortie idéal pour eux. Pour M. Leavy, ces conditions sont notamment réunies dans un quartier où on note une forte présence de rats, le Quartier chinois.

Il s'inquiète d'une «nouvelle habitude» montréalaise, de plus en plus répandue dans les services publics et les résidences particulières: «On laisse pousser l'herbe de plus en plus haut. Ça fait des cachettes formidables pour les souris et les rats.» L'interdiction d'utiliser des pesticides pour le simple citoyen, bien que louable au plan environnemental, rend également les terrains herbeux plus attirants pour la faune urbaine. Enfin, de façon générale, «la salubrité se détériore à Montréal, estime Harold Leavy. Les logements sont de plus en plus sales, ça n'a pas d'allure. Je n'ai jamais vu autant de cas de résidences insalubres. On intervient chez des gens qui ont des problèmes de santé mentale, des personnes âgées dont personne ne s'occupe, qui sont infestées et ne le savent même pas.»

Il blâme en partie la Ville et les arrondissements, qui feraient preuve de nonchalance quand on leur signale des bris d'égout. «Ils nous répondent que ça coûterait trop cher de tout réparer, mais certains égouts vont rester ouverts pendant des jours. Avant les fusions, c'était centralisé, les responsables avaient une formation en salubrité. La gestion parasitaire par les arrondissements, ç'a été désastreux.»