Dimanche matin, quartier Notre-Dame-de-Grâce. Dans l'arrière-salle d'une église protestante, une quarantaine de fidèles vêtus de blanc prient devant... un ordinateur portable.



Cette scène étrange (surréaliste?) n'a rien à voir avec la mort de Steve Jobs, mais tout à voir avec la petite communauté copte orthodoxe éthiopienne de Montréal, qui compte une centaine de membres. Faute de prêtre attitré, celle-ci diffuse des sermons et des prières trouvés sur des sites web. Concept inventif certes... mais quand même limité.

«Une messe sans prêtre, ce n'est pas vraiment une messe», reconnaît Tsegue-Mariam Negouné, membre de la communauté, rencontrée à la sortie du service.

Avec un peu de chance, ce problème pourrait être réglé sous peu. Après 15 ans d'errance, à se promener d'églises louées en salles paroissiales, la congrégation Tewahedo Medhanealem vient en effet d'acheter sa propre église dans le quartier Parc-Extension. Et elle espère que cette acquisition lui donnera un argument de poids pour attirer un prêtre permanent et non virtuel à Montréal.

«Il y a cinq ans, on n'aurait pas pu acheter cela. Mais maintenant, tout va changer», lance Debebe Emissa, diacre et leader discret de cette paroisse flottante.

Questions d'argent

Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres. Jusqu'ici, les Éthiopiens de Montréal ont été assez malchanceux côté prêtres.

Les candidats n'ont pas été nombreux à postuler, et ceux qui sont venus sont vite repartis. Le premier s'est enfui à Calgary après trois ans de service. Le second n'est resté que quelques mois en 2006 avant de partir sans demander son reste. Depuis, c'est le désert absolu. Faute de mieux, la congrégation prie de façon informelle et fait venir un prêtre de Toronto pour les grandes occasions, comme le Noël orthodoxe, qui avait justement lieu vendredi, jour des Rois.

Comment expliquer cette aversion pour Montréal? Les prêtres éthiopiens seraient-ils comme les joueurs de hockey?

«Je pense surtout qu'ils se sentaient seuls, explique Debebe, diplomate. Ici, ce n'est pas comme Toronto. Et c'est encore moins comme l'Éthiopie. La communauté est petite. Nos activités sont limitées. Ils n'aimaient pas ça.»

Autre son de cloche à Toronto, où nous avons joint le père Mesale Engeda, fondateur de l'Église éthiopienne du Canada. Selon lui, le problème montréalais était avant tout pécuniaire: «Je pense que c'était essentiellement une question de revenus. La communauté de Montréal n'était tout simplement pas assez forte pour les soutenir financièrement.»

La situation n'est pas exclusive à Montréal, explique M. Engeda. Ottawa a connu le même problème par le passé, et la paroisse éthiopienne d'Halifax n'a toujours pas de prêtre. En revanche, Toronto en possède quatre.

Faut-il y voir - encore - une question de langue? «Ce n'est pas la raison principale, répond le religieux. Mais c'est peut-être une raison. Plusieurs Éthiopiens sont partis de Montréal pendant le référendum.»

Enfin, il est vrai que les communautés éthiopiennes sont plus nombreuses au Canada anglais et, par là, plus attirantes. Il y a environ 30 000 Éthiopiens à Toronto, alors que Montréal en compte environ 1000, musulmans, orthodoxes et évangélistes confondus.

«Je ne peux forcer personne»

Le père Engeda ne cache pas son admiration pour la paroisse montréalaise («ils sont peu nombreux, mais déterminés») et il dit travailler fort dans les coins pour lui trouver un prêtre. Mais, à mots plus ou moins couverts, il avoue que l'enthousiasme n'est pas au rendez-vous dans ses rangs: «Je ne peux forcer personne. Celui qui ira doit le faire pour prêcher la bonne nouvelle et non pour l'argent.»

La solution viendrait-elle d'Éthiopie? Rien n'est moins sûr. Primo, l'Église éthiopienne d'Amérique du Nord est en rupture avec celle d'Éthiopie. Les deux synodes sont en froid administratif depuis 20 ans (voir encadré). Deuzio, l'immigration pose problème. «On a souvent essayé. Un prêtre sur cinq seulement parvient à entrer au pays», souligne le père Engeda.

Selon lui, il serait beaucoup plus facile de recruter dans les camps de réfugiés du Kenya ou de l'Ouganda. En demandant l'asile, un prêtre aurait plus de chances d'être reçu et parrainé au Canada. «C'est une option que nous considérons sérieusement.»

Un QG pour la communauté

Dans quelques semaines si tout va bien, la congrégation Tewahedo Medhanealem prendra possession de sa nouvelle église, une ancienne mission catholique ukrainienne sur la rue Stuart.

Plus qu'un lieu de culte, l'endroit servira de bibliothèque, de centre culturel, d'école de langues et de point de chute pour les nouveaux arrivants. En d'autres mots, la communauté éthiopienne de Montréal aura enfin son QG. «On commence à avoir des enfants. On grossit. Il était temps qu'on ait notre place», souligne Debebe Emissa.

Et le prêtre? Plein d'espoir, Debebe regarde vers le ciel. «Je m'en remets à Dieu, dit-il. C'est un bon berger...»