Chaque jour, 600 personnes disparaissent au fond d'anciens stationnements souterrains du Stade olympique, convertis en espaces de bureaux. Ce devait être une mesure temporaire. Cela fait 26 ans que cela dure. Et cela arrange le gouvernement, qui y voit une façon de garder le Stade en vie. Mais le «peuple troglodyte» n'en peut plus des refoulements d'égout, des couloirs sans fenêtres... et des blocs de glace qui lui tombe sur la tête.

Quand François Gélinas reçoit des visiteurs, c'est toujours un casse-tête de leur expliquer comment se rendre à son bureau. Une marche de 10 minutes dans un dédale étourdissant de couloirs sans fenêtres. «Les gens arrivent ici avec des yeux exorbités. Ils sont tout fiers d'avoir réussi à nous trouver!»

François Gélinas est directeur général de la Société de spéléologie du Québec. Son bureau n'est pas au fond d'une grotte. Mais presque. Comme 600 autres employés d'organismes en sports et loisirs du Québec, il est condamné à s'enfermer tous les jours dans les profondeurs abyssales du Stade olympique de Montréal.

Et comme tous les autres, il n'en peut plus.

En 1985, Québec a regroupé les sièges sociaux des fédérations de sports et de loisirs dans les stationnements souterrains P-5 et P-6 du Stade olympique, convertis en espaces de bureaux.

Ce devait être une mesure temporaire, jusqu'à ce que des locaux plus convenables soient aménagés dans la tour du Stade. Le projet ne s'est jamais concrétisé. Alors, les employés restent dans leur sous-sol, en attendant mieux. Depuis 26 ans.

Pour se rendre à son bureau, Daniel Caron doit zigzaguer entre des cloisons mobiles grises, en baissant parfois la tête pour éviter les tuyaux et les conduits de ventilation. «On perd deux ou trois personnes par semaine dans ce labyrinthe», lance-t-il à la blague.

Dans un mémoire déposé le mois dernier au comité-conseil sur l'avenir du Parc olympique, cependant, le directeur général du Conseil québécois du loisir n'avait pas le coeur à rire. Les employés, a-t-il écrit, ont «un accès pratiquement inexistant à la lumière du jour dans les aires de travail, dans un environnement jugé inacceptable pour une majorité de travailleurs et d'observateurs».

«Ce n'est pas un espace de bureaux. C'est un garage! Il y a des voitures au-dessus de nos têtes, explique M. Caron. Ça ne répond pas aux normes, modernes ou anciennes. On a des problèmes d'odeur et de refoulements d'égout. Un jour de pluie abondante, la Fédération de canot a même eu droit à une cascade... dans ses bureaux! C'est comme cela presque toutes les semaines.»

Il y a aussi les avalanches. En hiver, d'énormes blocs de glace se détachent du toit du Stade et s'écrasent sur les bureaux du «peuple troglodyte», comme M. Caron a surnommé ses collègues de travail. «C'est comme un tremblement de terre. Une fois, le mur de mon bureau s'est fendu d'un seul coup. Paf!»

À deux reprises, des blocs de glace ont fracassé des puits de lumière pour s'écraser au milieu des aires de repos. Heureusement, personne n'a été blessé. Mais depuis, la Régie des installations olympiques a bouché les puits de lumière, du côté du Stade, afin d'éviter une tragédie.

Le 13 septembre 1991, ce n'est pas de la glace, mais une poutre de béton de 85 tonnes qui est tombée sur les bureaux des fédérations. Cette fois encore, personne n'a été blessé. Un vrai miracle, estime François Hamel, directeur général sortant de Regroupement Loisir Québec. «Quand le pape est venu au Stade, il a logé dans nos locaux. Une chance. On est béni des dieux!»

Quelques employés ont été traumatisés par l'effondrement de la poutre. D'autres, plus nombreux, sont déprimés. Ils utilisent des lampes de luminothérapie dans l'espoir d'échapper à la grisaille. «Le moral est vraiment bas. On a l'impression d'avoir été oubliés, dit Le Duing Lang, biologiste au Regroupement Québec oiseaux. Des gens sont partis. Ils étaient incapables de travailler dans un tel environnement.»

Certains refusent même d'y mettre les pieds. «Ça limite la quantité de candidats prêts à travailler pour nous. Il y a des gens qui ont refusé des postes à cause de nos locaux», dit François Gélinas, qui a lui-même hésité avant d'accepter son poste, en juillet. Sa passion pour la spéléologie a fini par l'emporter.

Au fil des ans, plusieurs organismes ont quitté le Stade. «Dès qu'un groupe peut se le permettre, il pense à déménager.» Hockey Québec est le dernier à avoir plié bagage, après 20 ans au fond de la caverne.

Il lui faut maintenant payer un loyer à Anjou, mais le directeur général, Sylvain Lalonde, assure que cela valait le coup. «Ça fait une énorme différence sur la santé et le climat de travail. Les employés sont plus productifs.»

La plupart des organismes n'ont pas les reins assez solides pour imiter Hockey Québec. Ils ne peuvent qu'espérer que le gouvernement se rappelle enfin que tout cela devait être temporaire. «On a assez donné, dit M. Caron. Ça fait 26 ans qu'on est dans la cave!»