L'adoption de la loi interdisant aux entreprises en construction condamnées pour fraude fiscale de décrocher des contrats publics cause de sérieux maux de tête à la Ville de Montréal. Ses avocats tentent de déterminer si ces nouvelles dispositions pourraient faire perdre à Ultramar un important contrat de 80 millions de dollars avec la métropole.

Le maire Gérald Tremblay a annoncé mardi que son administration annulera les contrats accordés aux entreprises figurant sur la liste noire de la Régie du bâtiment. Or, parmi les 113 sociétés y figurant se trouve Ultramar, qui espère décrocher un mandat pour fournir Montréal en carburant.

La société, qui fournit en essence et en mazout plusieurs municipalités québécoises, possède en effet une licence de construction afin de réaliser des travaux dans ses installations et pour installer des systèmes de chauffage chez des particuliers.

En 2008, Ultramar s'est reconnue coupable d'une infraction à la Loi sur la concurrence et a été condamnée à payer une amende de 1,8 million après l'implication d'un de ses employés dans un cartel de fixation du prix de l'essence au Québec. Depuis, son permis de construction a été inscrit sur la liste noire de la Régie du bâtiment, cette sanction s'étendant jusqu'en juin 2013.

Adoptée la semaine dernière, la loi visant à sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l'industrie de la construction indique que tout sous-traitant condamné pour fraude fiscale devient inadmissible à tout contrat public. Ultramar attend actuellement de savoir si elle a décroché un contrat de plus de 80 millions pour fournir en carburant la métropole.

Questionnés par La Presse sur le cas d'Ultramar, tant les services juridiques de la Régie que ceux de la Ville de Montréal ont dit analyser la situation. La question est d'autant plus épineuse que les contrats publics sollicités par Ultramar ne touchent en rien la construction, mais bien la fourniture de carburant. L'entreprise a préféré ne pas faire de commentaires.

Au bureau de la ministre du Travail, on indique que la Ville de Montréal devra demander une dérogation à la Régie du bâtiment pour savoir si elle peut confier le contrat à Ultramar. «C'est à la Régie de trancher parce qu'elle administre la loi», a indiqué Charles Robert, attaché de presse de la ministre Lise Thériault.

Interrogé par La Presse mardi, le responsable des infrastructures à la Ville de Montréal, Richard Deschamps, a estimé que l'interdiction de décrocher des contrats publics devrait s'appliquer à toutes les sociétés condamnées pour fraude fiscale et non pas seulement à celles du secteur de la construction. Il a toutefois précisé que la décision revenait au gouvernement provincial. «L'esprit de la loi 35 pour l'industrie de la construction devrait s'appliquer à tous les niveaux», a-t-il indiqué.

Outre Ultramar, au moins trois autres entreprises faisant couramment affaire avec Montréal figurent sur la liste noire de la Régie du bâtiment. Il s'agit de deux entreprises de l'entrepreneur Tony Accurso, Constructions Louisbourg et Simard-Beaudry, ainsi que de Soter Construction. En décembre 2010, Simard-Beaudry et Constructions Louisbourg se sont reconnues coupables d'une fraude fiscale de plus de 4 millions. Soter est quant à elle liée à Doncar Construction, qui s'est reconnue coupable de fraude fiscale en 2008.

Selon l'opposition, Constructions Louisbourg et Simard-Beaudry auraient décroché depuis avril 15 contrats d'une valeur de 45 millions. Les recherches de La Presse ont permis d'établir que Soter a quant à elle décroché, depuis juin, au moins huit contrats totalisant 4,2 millions. Les trois entreprises ont également répondu à 78 appels d'offres en cours à la Ville de Montréal.

Impossible pour l'instant de savoir avec précision combien de contrats seront annulés à Montréal. La Ville dit être en train de réviser l'ensemble de ses contrats pour déterminer lesquels peuvent être résiliés. Le maire Tremblay a indiqué mardi que les mandats pour lesquels les travaux n'ont pas encore commencé seront annulés. Pour ceux qui sont en cours d'exécution, il demandera toutefois une permission pour qu'ils se poursuivent. Si la Régie du bâtiment du Québec refuse, Montréal se prévaudra de la caution qu'elle exige dans ses contrats, une assurance habituellement utilisée en cas de faillite des entrepreneurs.

«Ça met en place des dispositions beaucoup plus sévères et rigoureuses qui auront certainement un impact important», a réagi Louise Harel, chef de l'opposition.