La formation obligatoire sur l'éthique et la déontologie municipale que doivent suivre tous les élus a été confiée à une firme comptable qui obtient des contrats avec les villes.

La firme Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) a même son logo sur le site de l'Union des municipalités du Québec (UMQ), responsable de l'organisation de ces cours en vertu d'une entente avec le ministère des Affaires municipales.

Plusieurs villes du Québec lui confient régulièrement des mandats, notamment de vérification des états financiers. Les appels d'offres la placent en concurrence avec plusieurs autres firmes du même domaine.

Sur le site web de l'UMQ, le logo de RCGT se trouve sous la mention «Nos partenaires Élites» à côté de celui du ministère des Affaires municipales. L'UMQ indique à La Presse que le logo a aussi figuré sur le «diplôme» remis aux élus à l'issue de leur formation.

Au Ministère, on précise que, en vertu de l'entente signée en janvier 2011 avec l'UMQ, Raymond Chabot Grant Thorton n'ont «pas le droit de faire de la publicité, mais ils peuvent s'identifier comme formateurs».

Le budget préliminaire prévoyait que Québec verserait 105 000 $ à l'UMQ, qui chiffrait à 112 000 $ les honoraires des formateurs.

«C'est malhabile, ne serait-ce que parce qu'une formation, a fortiori en éthique, doit demeurer un espace neutre. Dans ce cas, ça n'a pas l'air impartial, estime René Villemure, de l'Institut québécois d'éthique appliquée. Ces firmes-là sont à la recherche de contrats.»

Expertise en comptabilité

Il s'étonne en outre du fait que l'on ait confié à des comptables le soin de donner des cours d'éthique.

La firme RCGT a obtenu ce contrat à la suite d'un appel d'offres sur invitation. Ce sont ses employés qui donnent les cours.

Comme elle n'a aucune «expertise» dans ce domaine, elle s'est associée à la chaire d'éthique appliquée de l'Université de Sherbrooke. «C'est un de mes étudiants et adjoints qui a donné la formation aux gens de RCGT, avec ma collaboration», précise le professeur André Lacroix, titulaire de la chaire.

L'institut de M. Villemure avait aussi été invité à soumissionner, mais il a décliné l'offre après avoir consulté le dossier, dit-il.

«Une dizaine de firmes avaient été jointes, explique François Sormany, porte-parole de l'UMQ. Nous avons suivi tout le processus habituel.»

Le processus a été piloté par un comité de sélection de l'UMQ où siègent notamment un représentant du ministère des Affaires municipales et deux fonctionnaires, l'un de Sherbrooke et l'autre de Châteauguay.

Or, ces deux villes ont confié à RCGT des mandats pour la vérification et la certification de leurs états financiers, a découvert La Presse.

Publicité pour la firme comptable?

Ces cours sont-ils un outil de promotion pour la firme comptable? «J'imagine que oui, dans la mesure où RCGT insiste sur la collaboration qu'il a eue avec nous et sur notre expertise, dit André Lacroix. Nous avons en effet formé son personnel qui était dépourvu de cette expertise.»

Le professeur Lacroix ne croit pas avoir vendu son âme dans ce dossier, mais il avoue avoir «bataillé ferme» pour conserver sa neutralité et «imposer les contenus» auxquels il croyait. «En ce sens, dit-il, je crois que le travail fait est plus que satisfaisant et respectueux de ma neutralité. Comme universitaire, j'ai accepté d'aller au front, mais j'y vois plutôt des avantages qu'autre chose.»

L'UMQ ne croit pas que cette décision soit «malhabile», parce que «tout s'est fait dans la transparence». On ne voit rien d'étonnant dans le fait que ce soit une firme comptable qui donne des cours d'éthique plutôt qu'une chaire universitaire, par exemple.

Raymond Chabot Grant Thornton n'a pas répondu à notre demande d'entrevue.

Des avocats pour la FQM

À la Fédération québécoise des municipalités, ce sont des avocats qui sont chargés de cette mission. En vertu de la Loi sur l'éthique et la déontologie municipale, tous les élus doivent avoir suivi cette formation d'ici à juin 2012. Elle dure une journée et l'on y aborde notamment le rôle de l'élu ainsi que la nouvelle Loi sur l'éthique et la déontologie en matière municipale.

En mai dernier, l'UMQ avait suscité la controverse et le mécontentement de certains élus parce qu'elle avait choisi deux firmes de génie-conseil, Dessau et Roche, comme partenaires à son congrès annuel. Dessau avait de plus offert une soirée gastronomique. RCGT était le «partenaire officiel» du congrès.

La vice-présidente de Roche avait été arrêtée au cours de l'hiver précédent par l'escouade Marteau à la suite de son enquête à Boisbriand. Elle a été accusée sous 13 chefs, notamment de corruption d'élus et de fonctionnaires.

Plus récemment, le rapport Duchesneau a montré du doigt le rôle des firmes de génie et de construction dans le financement occulte des partis politiques.

Or, La Presse a constaté que, malgré ces controverses, Roche, Dessau et Genivar seront partenaires du prochain congrès de la Fédération québécoise des municipalités, aux côtés de firmes d'avocats qui obtiennent aussi des contrats des villes, comme Dunton Rainville.

Le porte-parole de la FQM réplique qu'elles ne participeront à aucune activité «qui favoriserait une proximité avec les élus».

Des décisions qui laissent René Villemure pantois: «Personne n'a dit à l'UMQ et à la FQM que cela n'avait pas de sens, surtout dans le contexte actuel? Pourtant, l'art de l'éthique n'est-il pas de décider avec justesse dans l'incertitude?»

En mai dernier, le Commissaire au lobbyisme s'était questionné sur les soirées que des firmes organisent discrètement dans des hôtels en marge de ces congrès.