L'entrepreneur qui effectuait les travaux de démolition sur l'autoroute Ville-Marie au moment de l'effondrement s'estime trahi par le ministre des Transports et jure avoir suivi à la lettre les instructions des ingénieurs, sans savoir que la structure risquait de lui tomber dessus.

«Ils nous font faire ça, et on aurait pu tuer du monde!», s'exclame avec émotion Luc La Haye, président de Laco Construction, dans une entrevue accordée à La Presse en exclusivité.

L'entrepreneur n'a pas digéré d'entendre le ministre Sam Hamad invoquer les travaux comme cause de l'accident survenu dimanche. «Lors de la démolition, nous avons suivi les plans et devis, signés et scellés, qui nous ont été fournis. Le ministre, avant de parler, devrait peut-être s'assurer de ce qu'il dit, surtout pendant qu'il y a des enquêtes en cours», rage-t-il.

Précaution supplémentaire

Au terme d'un appel d'offres, Laco Construction avait obtenu le contrat de réfection des murs de béton qui bordent l'autoroute. Les devis rédigés par le consortium CIMA", Dessau, SNC-Lavalin pour le compte du ministère des Transports précisent qu'il fallait utiliser de puissants jets d'eau pour enlever la surface du béton et la refaire. Pour ne pas faire tomber les poutres qui reposent sur le mur et qui soutiennent les paralumes, il fallait laisser 6 po (une vingtaine de centimètres) de béton intact sous chaque poutre.

«On a fait encore plus que ce que le plan de l'ingénieur nous disait; on a laissé environ 10 po (environ 30 cm), par sécurité», dit Franco Di Martino, bras droit de Luc La Haye.

Malgré cette précaution supplémentaire, l'assise sur laquelle reposait la poutre a cédé pendant les travaux, précipitant la chute de dizaines de tonnes de béton sur le sol.

«Le sous-traitant venait de terminer une étape. Il était juste à côté et, vers 9h, tout a lâché, tout est tombé», relate M. Di Martino.

Le sous-traitant qui maniait les jets d'eau, Luc Brassard, de l'entreprise LFB, a eu à peine le temps de se déplacer pour ne pas être écrasé.

Son journalier, Philippe Pedneault, était lui aussi tout près de la structure au moment critique.

D'autres travailleurs qui se tenaient un peu plus loin avec un inspecteur de la firme de génie CIMA" ont alors accouru, à la recherche de victimes. Ils ont saisi des cônes orange pour bloquer la circulation.

Furieux

Luc La Haye et Franco Di Martino sont furieux quand ils pensent que des gens auraient pu perdre la vie. Ils sont aussi en colère, car ils estiment qu'on les a traînés dans la boue sans qu'ils aient quoi que ce soit à se reprocher. Leurs démêlés passés avec la CSST, pour des manquements à la sécurité, et avec le ministère du Revenu pour une histoire de fraude fiscale ont fait la manchette cette semaine. «Pourtant, ça n'a rien à voir avec ce qui s'est passé, aucun rapport», soulignent-ils. Leur contrat avec le Ministère a aussi été suspendu jusqu'à nouvel ordre, déplorent-ils.

«On nous a traînés dans la boue», lance M. Di Martino.

Les vrais responsables sont ailleurs, disent les deux entrepreneurs. Où? Ils refusent de montrer quelqu'un du doigt.

«On n'est pas là pour accuser qui que ce soit. On ne veut pas mettre des gens au banc des accusés comme certains l'ont fait avec nous cette semaine. Pourtant, nous sommes une très bonne entreprise. Le Ministère n'a jamais eu à se plaindre des travaux qu'on a faits pour lui. Et là, à la première occasion, il nous donne des coups de pied au cul», dit Luc La Haye.