Même s'il reconnaît être «dans la tourmente» depuis plus de deux ans, le maire Gérald Tremblay a vigoureusement attaqué le ministre de la Sécurité publique, qui aurait agi de manière «inacceptable» en déclenchant une enquête sans d'abord l'en avertir.

La sortie du maire a été descendue en flammes par l'opposition, qui y a vu «un déni total de la réalité».

Suscitant la surprise lors d'une conférence de presse qui s'annonçait houleuse, cet après-midi, le maire a carrément soutenu que Québec aurait plutôt dû déclencher la fameuse commission d'enquête publique sur le monde de la construction, un geste que refuse de poser le gouvernement Charest. L'enquête annoncée ce matin par le ministre Dutil, a affirmé M. Tremblay, n'est pas «la véritable enquête».

«M. le ministre, la véritable enquête est celle que j'ai demandée en campagne électorale, et celle que le conseil municipal à l'unanimité a voté à deux reprises. C'est une enquête sur les allégations de collusion et de corruption dans l'industrie de la construction et le monde municipal. Il est là, le vrai problème. Pas juste à Montréal, mais au Québec.»

Un mandat «un peu» outrepassé

Le maire Tremblay n'a pas du tout digéré de ne pas avoir été prévenu par le ministre de la Sécurité publique. Il a du même souffle résumé avec ironie ses motivations. «Le ministre de la Sécurité publique, à la suite d'articles dans les journaux ou des questions des oppositions, a décidé de faire une enquête. C'est son droit le plus légitime. Mais la faire sans me téléphoner est totalement inacceptable.»

La controverse des courriels interceptés du président du conseil Claude Dauphin, qui s'est ajoutée à celle de l'espionnage pendant dix mois du vérificateur général Jacques Bergeron, a été causée par sa volonté de «faire le ménage», a-t-il répété. «Oui, ça brasse, et ça dérange. Oui, il y a eu de nombreuses vérifications administratives. Nous avons trouvé des irrégularités et chaque fois, nous avons eu des rencontres régulières avec les services de police, particulièrement la SQ.»

Il a reconnu que le contrôleur général Pierre Reid avait «peut-être dépassé son mandat», mais a maintenu que «tous les gestes ont été posés de bonne foi et au meilleur de ses connaissances». Il a tout de même réitéré, dans une profession de foi quelque peu surréaliste, que «les élus ne peuvent pas et ne doivent pas être enquêtés».

«Si jamais nous avions une demande écrite des autorités compétentes, à ce moment-là, et seulement à ce moment-là, nous agirons.», a-t-il ajouté. Or, depuis deux jours, tant la Sûreté du Québec que le ministère des Affaires municipales ont assuré n'avoir jamais autorisé les actions de Pierre Reid.

Conférence limitée

M. Tremblay s'est en outre présenté comme «le maire qui fait le plus d'enquêtes depuis des années à Montréal.» Il s'est dit confiant que l'enquête ne révèlerait rien de dommageable pour son administration. «Je ne suis pas inquiet, nos livres sont ouverts.»

Fait rare à l'hôtel de ville, la conférence de presse a été limitée à quatre questions pour les journalistes francophones, et trois aux anglophones. Elle n'a duré qu'une vingtaine de minutes.

Les deux chefs des partis d'opposition ont réagi en utilisant la même formule, apparemment sans s'être consultés: «C'est un déni total de la réalité.»

«J'en ai le souffle coupé, a déclaré Louise Harel, chef de Vision Montréal. Il est parti en guerre contre le vérificateur général, il était en guerre contre le président du conseil, et là, il veut lancer la guerre contre le ministre de la Sécurité publique.»

«Il est complètement dépassé par les événements, il est dans le déni total, a renchéri Richard Bergeron, chef de Projet Montréal. Quand sa famille politique le prend aussi peu au sérieux, au point de ne même plus lui téléphoner avant de procéder à une annonce comme celle-là, ça en dit beaucoup. Il n'y a que Gérald Tremblay pour s'en surprendre.»

Selon M. Bergeron, les affirmations du maire sur «le ménage entrepris» sont sans fondement. «Plutôt que de faire le ménage, il a empiré la situation. L'air est plus vicié que jamais, Montréal n'est jamais descendu aussi bas que ces deux derniers jours.»

«Soupir de soulagement»

Plus tôt en matinée, les deux chefs avaient applaudi à l'annonce du ministre Robert Dutil d'enquêter sur la Ville de Montréal, y voyant l'occasion de «faire le ménage» et de «dissiper le climat malsain» qui prévaut depuis deux ans.

«Cette annonce me fait pousser un vrai soupir de soulagement, a déclaré d'emblée Mme Harel. C'est une enquête que j'avais demandée moi-même à la SQ sur l'espionnage qui règne à l'égard des élus. On pourra voir la lumière au bout du tunnel et dissiper le climat malsain, toxique qui règne à l'hôtel de ville.»

Même si elle reconnaît qu'il ne s'agit pas de la grande enquête publique que son parti réclame à chaque séance du conseil depuis un an, elle estime que «c'est quand même l'intervention qu'il fallait à ce moment-ci, pour dissiper ce sentiment que tout le monde a d'avoir été épié. Et de ne pas avoir de garanties de ne plus l'être.»

Huit enquêtes demandées

La chef de l'opposition officielle assure que «les citoyens en ont ras le bol» des scandales à répétition  et que beaucoup ont perdu confiance dans l'administration Tremblay.

Du côté de Projet Montréal, le chef Richard Bergeron salue également la «bonne décision» du ministre de la Sécurité publique, qualifiant cette enquête «de près qu'on puisse se rapprocher d'une commission d'enquête. Le gouvernement du Québec paraît prendre conscience de l'ampleur des problèmes dans le monde municipal, et en particulier à Montréal. C'est un pas dans la bonne direction.»

Projet Montréal rappelle depuis deux mois que l'administration Tremblay fait face à huit enquêtes de la Sûreté du Québec -en raison notamment de plaintes déposées par le chef du parti, d'ailleurs. Cette fois, «il y a une démarche sérieuse d'investigation qui est enclenchée, par la famille politique de M. Tremblay, dit M. Bergeron. Ils l'ont supporté autant qu'ils ont pu,  et là ils en ont marre.»

Le maire, a-t-il répété, ne contrôle plus rien à l'hôtel de ville et «devrait prendre la décision qui s'impose», soit quitter son poste. Il aurait déjà dû la prendre, d'après moi, cette décision. Je l'ai invité à réfléchir s'il était encore à la bonne place comme maire de Montréal. Peut-être que sa réflexion va être accélérée par les révélations à la faveur de cette enquête.»