La Ville de Montréal va trop loin dans ses enquêtes internes, croit Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers de Montréal. «Si nos policiers agissaient comme ça, on perdrait toutes nos causes à la cour.»

Lorsque les policiers ou les agents du Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) veulent intercepter des courriels ou des communications, ou installer des caméras cachées, ils doivent se plier à des contraintes très strictes et obtenir l'assentiment d'un juge ou d'un ministre. Ce n'est pas le cas des «enquêteurs» de la Ville de Montréal ni des firmes privées qui agissent pour son compte.

À la Ville de Montréal, c'est le service des enquêtes et analyses, dirigé par Yves Grimard, qui dirige ce service de renseignement interne. Ses enquêtes sont enclenchées à la suite de dénonciations ou de plaintes.

«C'est simple, aussitôt qu'il s'agit d'allégations criminelles, pas des histoires de cols bleus qui dorment sur une pelle, ce devrait être la police qui enquête», croit Yves Francoeur.

La Loi sur la police est claire. L'article 70 stipule que c'est la Sûreté du Québec qui doit mener toutes les enquêtes dites de «niveau 6», le maximum dans la province. Cela inclut les allégations de corruption de fonctionnaires ou de malversations.

«La question qui se pose est de savoir si la Ville fait indirectement, elle-même et par le biais de ces firmes, ce que l'on ne peut pas faire directement. Si la commande nous était passée, il faudrait un mandat, par exemple, pour fouiller dans les courriels. C'est une intrusion dans la vie privée. Il y a des normes à respecter», dit Yves Francoeur. Il est catégorique: la «preuve» recueillie dans ces situations peut être «illégale» et les dossiers «brûlés».

Un des limiers privés sous contrat avec la Ville, à qui nous avons parlé et qui souhaite que l'on protège son identité, se justifie en disant que gagner un procès équivaut à «rêver en couleur. Notre but est d'écarter ces personnes du pouvoir de décision».

«S'ils nous confiaient ce genre d'enquête, la loi nous oblige, si elle aboutit, à transférer le dossier à un procureur de la Couronne afin qu'il porte des accusations. On ne peut pas garder ces choses cachées. À la Ville, il n'y a aucune suite légale, on force juste les gens à démissionner. La réputation de la Ville n'est pas entachée».

Or, non seulement ils ne sont pas condamnés, mais plusieurs de ces ex-cadres et employés évincés par Montréal ont été récupérés par des firmes privées et d'autres municipalités.

Méthodes controversées

Au Québec, un corps de police qui veut intercepter les communications d'un individu doit d'abord soumettre un affidavit détaillé à un juge. «Il faut prouver que toutes les autres méthodes d'enquête ont peu ou pas de chances de réussite, rappelle le sergent Lapointe, de la SQ. Et ça ne doit pas être une expédition de pêche: l'infraction alléguée doit faire partie d'une liste que l'on trouve à l'article 183 du Code criminel.» Le mandat est délivré pour une durée de 60 jours et peut être renouvelé. Dans tous les cas, la personne ciblée doit ensuite être informée dans un délai maximum de 90 jours après la fin de l'interception qu'elle a été placée sous surveillance.

Dans le cas du Service canadien de renseignement de sécurité, on explique que l'enquête par intrusion est toujours évaluée par rapport aux impacts possibles sur les libertés civiles. «Seule la Cour fédérale du Canada est habilitée à autoriser le recours à des techniques d'enquête par intrusion», affirme la porte-parole Isabelle Scott.

Sur son site internet, la GRC se penche sur l'interception des communications et le droit à la vie privée. Un des intervenants, Benjamin Gold, professeur agrégé de droit à l'Université de la Colombie-Britanique, considère que «la lecture d'un courriel d'une personne constitue une violation grave de la vie privée. Il est essentiel pour la police de fournir une justification claire et convaincante de telles intrusions».

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